LIVRE XXVIII. 49 que; qae les peuplades de l’Asie ne vinssent occuper les côtes orientales de la Méditerranée ; que la maison d’Autriche ne devint puissante ; que les autres lit,ils n'acquissent enfin une organisation fixe, et I ne fissent des progrès dans l’administration. Quand la source des richesses commerciales ne sc trouva plus à sa portée, « quand l’Italie, suivant , l’expression de Montesquieu, ne fut plusauccn- • tre du monde commerçant, et se trouva, pour ainsi dire, reléguée dans un coin de l’univers, » quand la marine de Venise ne fut plus redoutable, quand de grands peuples furent devenus les voisins de la république, et ses égaux dans la science du gouvernement; il fallut bien que Venise descendit du haut rang où elle s’était placée. Il ne serait pas juste d’attribuer cette révolution à son imprévoyance; mais on peut dire que ce changement lui aurait été moins funeste, si, dans le temps de sa prospérité, elle eut montré cette modération, dont on ne put faire honneur ensuite qu’à sa faiblesse. Toutes conquêtes doivent entraîner la perte des petites républiques, et Venise l’était relativement à d’autres États. Une république conquérante devient monarque par fiction ; mais quand cette espèce de gouvernement exerce son autorité au loin, il est plus dur, plus odieux que le gouvernement d’un seul. En s'abstenant de conquérir des provinces en Italie, Venise aurait évité des guerres désastreuses, des haines implacables, des dépenses immenses. Elle aurait retenu plus longtemps scs possessions d’outre-mer, elle aurait pu conserver un plus grand commerce, résister aux Turcs avec plus de succès; elqui l'aurait empêchée de porter son pavillon dans I Océan, comme les Portugais, les Espagnols et les Hollandais, nations beaucoup moins habiles que les 'énitiens dans la marine, à l'époque où elles entreprirent tant de conquêtes? Elles profitèrent, pour s’établir dans les deux Indes, du moment où les Vénitiens disputaient la possession de Cergaine '1 de Crémone à leurs voisins. Je ne dis pas que neuf provinces en Italie, ne valussent quelques iles dans les Indes; mais ces neuf provinces, quoique fort belles, ne formaient qu’un Etat médiocre. La servitudcoùellcsétaient en avait facilité la conquête ; du moins fallait il les attacher •' leur nouveau gouvernement, les incorporer à ' Etat. Les républiques, si elles veulent réellement Agrandir, doivent sc donner des citoyens et non 'les sujets : la constitution de Venise s'y opposait, II où il faut conclure que cette république n’était f,as eonslituée pour augmenter ses forces par des r >nquéles sur le continent. Machiavel fait observer 'I11 après ces acquisitions, Venise se trouvait en effet '" uns puissante que lorsque son territoire ne s’éten- IllSTOIRf. ;>K VENISÏ.— I. II. dait qu’à quelques milles au delà des lagunes. Au reste, quelque soin qu’on eût pris de s’assurer la possession de ces nouvelles provinces, il n’y avait pas là de quoi se soutenir sur un pied d’égalité avec les puissances environnantes. Prendre cette route pour s’agrandir, c’était avouer une ambition qui rappelait trop celle des Romains, et pour cela il fallait conserver la supériorité sur les autres peuples en habileté et en courage. Si Venise eût su se donner des citoyens et non pas des sujets, elle serait devenue plus puissante ; si elle eût conquis les peuples pour les affranchir, et pour former une ligue de républiques confédérées, elle pouvait réunir en un seul État le Milanais, la Romagne et la Toscane : jamais les Français, les Allemands, les Espagnols, n’auraient été appelés au delà des Alpes, et les papes ne seraient pas devenus si puissants. Le tort, ou le malheur du gouvernement vénitien, fut donc de ne pas juger sa destinée. Les patriciens de cette république, dans le temps de ses prospérités, sc croyaient appelés à humilier les rois, et, après ses disgrâces, ils ne sentirent pas assez qu’il ne pouvait plus y avoir de royauté poureux-mêines. IX. La souveraineté a cela de propre, que plus elle est grande, moins on lui porte envie. Dans la monarchie, dans les États despotiques même, 011 ne voit dans la souveraineté qu’une magistrature; le personnage est si éminent, le fardeau qu’il porte est si accablant, qu’il no vient pas dans l’idée de croire que la destinée l’ait fait monarque pour son avantage personnel : on voit qu’il 11e jouit de rien, qu’il estobligédese faire une existence à part;c’cst,pour ainsi dire, un être hors delà nature. Il n’en est pas ainsi dans les petits États, et surtout dans ceux où la souveraineté est partagée. Plus la part d’autorité est petite, plus elle est accessible aux ambitions vulgaires. Quand nous voyons ceux qui la possèdent se rapprocher de nous par leurs jouissances, et descendre à de petits moyens pour les accroître, se réserver des avantages et s'enorgueillir de notre humiliation, faute de pouvoir se glorifier de leur grandeur, nous nous demandons pourquoi, à quel titre, jusques à quand ils veulent être nos maîtres. C’est bien pis, lorsqu’il n’y a plus pour eux aucune occasion de montrer qu’ils valent micux.que nous, et de faire preuve de ces grands talents, de ce courage, qui peuvent justifier la vanité. Or, c’est ce qui arriva au gouvernement de Venise. Quand les nobles, au lieu de verser leur sang pour la patrie, au lieu d’illustrer l’État par des victoires et de l’agrandir par des conquêtes, n’eurent plus qu’à jouir des honneurs, et à se partager le produit des impôts, on dut se demander pourquoi il y avait huit ou neuf cents habitants de Venise qui se