208 HISTOIRE DE VENISE. la légation vénitienne rétablie à Paris. La réponse avait été affirmative; en conséquence, le chargé d’affaires fut rappelé, et un ministre se présenta, vers le mois de juillet, avec de nouvelles lettres de créance; mais, au lieu de l’accueillir, le sénat déclara « que les principes de son impartialité ne lui permettaient aucune variation dans la forme de ses correspondances, et que les circonstances le contraignaient à n’admettre aucun changement dans celles qui subsistaient actuellement. ¡> De sorte que le ministre méconnu se vit obligé de partir, et les relations restèrent confiées à un agent d’un rang inférieur. Ce refus s’explique par les menaces de l’Autriche, dont les troupes semblaient prêtes à envahir le Frioul ; par l’apparition d’une flotte anglaise dans la mer de Ligurie; et par les intrigues de tous les ministres étrangers, en résidence à Venise, notamment de l’ambassadeur espagnol. La république française n’en témoigna aucun ressentiment. Sa diplomatie en était venue au point de se féliciter d’être tolérée; et le ministère, qui ne pouvait se dissimuler tout-à-fait la honte de cette conduite, avouait « que tant de prudence n’cùt pas été nécessaire, s’il l’cùt été moins de conserver un agent à Venise, dans l’état actuel des choses. » On serait tenté de croire que cet agent dirigeait ou préparait un parti dans la population vénitienne; mais, quand on considère l’état d’isolement et d’humiliation où letenaientla surveillancedu gouvernement vénitien, la haine de toutes les autres légations, la détresse à laquelle son propre gouvernement l’abandonnait, on demeure convaincu de l’impuissance où il était, je ne dis pas d’acquérir aucune influence, mais même de protéger efficacement les intérêts, souvent lésés, du peu de nationaux qui se hasardaient sur cette terre ennemie. Mais cette légation contribuait à l’expédition de quelques approvisionnements que la France, alors en proie à la famine, sollicitait en vain de toutes parts ; elle servait de point de communication avec Constantinople. Tels étaient les faibles avantages qu’on achetait à ce prix ; car du reste la France aurait pu rappeler sa légation et prendre un langage plus digne de sa puissance, sans que le gouvernement vénitien eût trouvé dans cette conduite une raison de se déterminer à la guerre. XVII. Enhardis par le refus dont ils venaient d’être témoins, les ministres des cours coalisées, résidant à Venise, entreprirent plusieurs fois de contraindre le gouvernement à expulser le secrétaire de légation, seul et faible reste de la représentation française (1795). Cette demande, toujours éludée, se reproduisait sous différentes formes. Elle fut renouvelée avec plus d’éclat et de force au mois de décembre. Le 11 de ce mois, le collège reçut des inquisiteurs d’État l’avis suivant : « Il est venu à la connaissance de ce tribunal que le chevalier Worsley (résident d’Angleterre à Venise) doit dans quelques jours présenter au gouvernement un mémoire, dont l’objet est de demander, comme un acte de complaisance pour sa majesté britannique, l’éloignement de la légation française. Il doit faire aussi celte demande au nom de toutes les puissances coalisées. 11 la fondera sur des raisons prises dans l’intérêt de la république et dans celui de tous les princes; en exposant que les Français profitent de leur séjour dans l’État de Venise, et de la protection de cet Etat, pour faire passer les courriers au moyen desquels ils tentent de mettre l’O-rienten mouvement, et pourentretenir des divisions intestines parmi les Grisons; afin de ménager par là un passage aux émissaires français, ou étrangers, qui vont prêcher partout le désordre et la révolte contre les souverains légitimes. Il proposera, en retour de celle complaisance, l’offre d’une flotte anglo-espagnole, qui se chargerait de la défense des côtes de la république, dans le cas non probable d’une agression de la part des Français ; laissant du reste à la république la faculté de persister dans sa neutralité, sous la réserve toutefois de ne fournir à la France ni munitions de bouche, ni munitions de guerre. 11 assurera que ces propositions lui ont été dictées, avant son départ, par le roi lui-même, et qu’elles lui ont été confirmées par M. Pitt. Le chevalier Worsley témoignera dans ses discours quelque désapprobation des formules allières dont mylord Hervey a usé en Toscane, et des menaces de M. Drack à Gênes ; formes qu'il reconnaîtra ne point être convenables avec la république de Venise, qui, dans tout le cours des affaires présentes, s’est conduite de manière à manifester la droiture de ses sentiments. Il se propose de n’employer que des insinuations appuyées sur la justice, sur la vérilé, et particulièrement sur cette ancienne et parfaite intelligence qui a constamment subsisté entre les deux Etats. On croit enfin qu’il s’est déterminé à celle démarche d’après l'avis des ministres des cours devienne, deSaint-l’élersbourg el de Berlin, résidant à Venise. » On voit, par cette note, que l’inquisition d’État était instruite d’avance de ce qui se préparait dans les chancelleries des ministres étrangers, et qu’elle mettait le conseil en état de délibérer sur leurs demandes, avant de les avoir reçues officiellement. Le chevalier Worsley présenta en effel la sienne quelques jours après; mais elle n’eut pas le succès qu’il en avait espéré.