210 HISTOIRE DE VENISE. partie tic leurs sujets pouvait embrasser avec enthousiasme. C’est de la lutte de ces sentiments divers que résultent tous les contre-sens qu’on remarque si fréquemment dans leur conduite. Il faut aussi faire entrer en lignede comptela dégénération de leur caractère, la timidité de leurgouvcrnement, le désordre de leurs finances, et l’état déplorable de leurs forces militaires. Le secret, qui jusque-là avait couvert le mystère de leurs délibérations, avait cessé d’être impénétrable, et on appliquait à ce symptôme de corruption le vain remède d’un serment. Les anciennes lois qui interdisaient aux nobles toute communication avec les membres du corps diplomatique, furent exécutées avec une nouvelle rigueur;, on les étendit aux personnes des deux sexes; et les femmes des patriciens, celles même des secrétaires ne purent plus, sous peine delà vie, avoir la moindre relation avec un étranger. Dans le même temps qu’ils refusaient de recevoir le ministre de la république française, les Vénitiens évitaient d’écouter ceux qui venaient échauffer leur zèle en faveur des Français expatriés; et cependant les uns et les autres restaient à Venise, et traitaient, par des voies indirectes, avec ce gouvernement, trop circonspect pour avouer de telles relations. Les Vénitiens fournissaient des blés à la république française et au gouvernement autrichien; mais en même temps ils en refusaient aux rois de Sardaigne et de Naples. On promettait de recevoir un ministre de France, et on éludait son admission; on traitait avec le gouvernement sans le reconnaître, et on continuait de qualifier d’ambassadeur en France le ministre vénitien qui s’était retiré à Londres, et on croyait que le gouvernement français (levait tenir compte de cette condescendance illusoire. Ce n’était point là de l’impartialité, c’étaient des alternatives de passions contraires. 11 faut le dire, il y avait des intervalles où la police à Venise était plus neutre que le gouvernement. Si elle punissait des patriciens suspects de gallomanie, elle réprimait aussi les écarts de ceux qui déclamaient trop imprudemment dans le sens contraire, et des prêtres, dont le zèle allait jusqu’à anathématiscr les Français. Un jeune artiste, qui est devenu depuis un peintre célèbre, est surpris par les sbires au moment où il dessinait un point de vue. Après l’avoir dépouillé, garotté, accablé d’indignes traitements, un de ces misérables lui demande si l'on célèbre encore des fêtes en France.