LIVRE XXXIX. 301 ordinairement par le nonce du pape qu’on lui faisait parvenir de faux avis. Les communications avec ce ministre de la cour de Rome n’étaient point interdites aux nobles vénitiens qui appartenaient à l’E-glise. Ces patriciens, en leur qualité de membres du clergé, étaient exclus de toutes les charges et de tous lesconseilsde l’État; mais ils pouvaient recueillir, soit dans leurs familles, soit auprès des autres patriciens laïcs, des notions de quelque importance; de sorte que l’hôtel du nonce passait pour être le canal par où les mystères du gouvernement vénitien transpiraient dans les autres cours. A la faveur de cette opinion, le gouvernement faisait parvenir jusqu’à ceux qu’il voulait tromper les avis qu’il avait intérêt de répandre, et il y avait toujours, pour cet objet, un ou deux prélats inscrits parmi les agents de l’inquisition d’État. L’emploi de ce moyen pouvait avoir scs abus ; la vigilance et une sévérité qui ne faisait acception de personne, les prévenaient. Sous le règne de Paul II, pape vénitien, vers 1472, dans un temps où la république était étroitement liée avec le saint-siége, on s’aperçut que quelques secrets du conseil avaient transpiré jusqu’à Rome. Elisabeth Barbo, femme d’un Zeno et mère d’un cardinal, fut accusée de les avoir révélés; son sexe, l’honneur qu’elle avait d’être sœur du pape, l’indulgence que pouvait mériter une indiscrétion commise en faveur d’un frère, n’empêchèrent point le conseil des Dix de la reléguer en Istrie, et de mettre sa tète à prix si elle rompait son ban. Quand la république croyait devoir compter parmi ses ennemis un ministre ou un grand seigneur d'une cour étrangère, on avait soin de faire insérer, dans un rapport de l’ambassadeur vénitien résidantàccttecour,que tel personnages’était montré d’abord peu favorable aux intérêts de la république, que cependant on avait eu le bonheur de parvenir à lui inspirer d’autres sentiments. L’évêque porteur des fausses confidences avait soin de révéler au nonce le succès dont les Vénitiens se félicitaient; la nouvelle en parvenait à la cour intéressée ; le personnage dont la république avait redouté l’influence, devenait suspect de corruption, et sa disgrâce était souvent le résultat de cet artificieux mensonge. Ces manœuvres de la politique, qui descendait comme on voit jusqu’à l’inlrigue, n’étaient pas seulement des mesures de circonstance, prises une fois, d’après une détermination momentanée et passagère : c’étaient des règles constantes, obligatoires, et qui ne changèrent jamais. Le tribunal s’était tracé avec le même soin une marche et des principes, pour la répression de tout ce qui pouvait compromettre les intérêts généraux ou particuliers de l’État, et ses formes étaient tou- jours aussi peremptoires, ses maximes également sévères. Un prêtre étranger parlait-il en faveur des prétentions de la cour de Rome : il était décidé qu’on le ferait assassiner. Un ouvrier de l’arsenal, un chef de ce qu’on appelle parmi les marins la mestrance, passait-il au service d’une puissance étrangère : il fallait le faire assassiner, surtout si c’était un homme réputé brave et habile dans sa profession. Un autre avait-il commis quelque action qu’on ne jugeait pas à propos de punir juridiquement : on devait le faire empoisonner. Un artisan passait-il à l’étranger en y exportant quelque procédé de l’industrie nationale : c’était encore un crime capital que la loi inconnue ordonnait de punir par un assassinat. Quoique la surveillance de l’inquisition s’étendit sur tout, et sur les moindres rassemblements dont elle se faisait rendre compte, et sur la poste dont elle se faisait apporter les paquets, et sur les caisses publiques qu’elle faisait vérifier, et sur la bourse de Venise où elle faisait acheter les créances sur l’Étal, quand ces créances étaient à bas prix ; quoique rien ne pùt échapper à ses soupçons, à son inquiétude, il y avait deux espèces de citoyens, les nobles et les prêtres, qui étaient l’objet d’une surveillance encore plus rigoureuse. Le tribunal tenait deux registres, l’un des nobles ou citoyens suspects, l’autre des ecclésiastiques peu agréables an gouvernement. S’il s’agissait de présenter quelqu’un pour remplir une charge, le collège était obligé d’envoyer consulter le dépositaire de ces registres, et de s’abstenir de proposer un candidat qui s’y trouvait compris. Le patricien qui se permettait le moindre propos contre le gouvernement était admonété deux fois, et à la troisième noyé comme incorrigible. Un noble voulait-il donner une fête à un étranger non revêtu d’un caractère public, il fallait qu’il en demandât la permission : recevait-il une lettre des pays étrangers, il était tenu de la porter aux inquisiteurs, et d’y faire la réponse dont ceux-ci lui donnaient la minute. Les moindres nouvelles insérées dans une correspondance pouvaient être un grave délit. D'abord on le punissait de la peine du bannissement, ensuite on imagina de faire couper la main qui avait tracé la lettre, il ne manquait plus que de faire l’application de celte jurisprudence au délit des perruques, et de faire tomber les têtes qui en auraient porté. Le lendemain de toutes les séances du grand-conseil, le tribunal s’assemblait pour examiner la liste de tous ceux qui, la veille, avaient été élus à