LIVRE XXXVII. 241 ment des événements de Bergame, et point du tout de ceux de Brescia ; mais il désavouait les com- milieu des succès, de négliger ses sûretés pour la retraite. Du reste, il se montra indifférent sur les diverses mesures entre lesquelles le sénat pouvait choisir. Seulement il remarquait que, si l’emploi de la force ne réussissait pas, cet essai malheureux accroîtrait l’audace des insurgés, et propagerait l’insurrection dans les autres provinces, où déjà, à sa connaissance, il en existait quelques germes. Il ajouta que, d’après sa manière de voir, l’expédient le plus sûr, le plus efficace, serait d’intéresser la puissance française elle-même à rétablir l’ordre, et que, si on l’en priait, il s’y prêterait, connaissant les maximes de son gouvernement, et qu’il y concourrait avec la certitude d’y réussir. « Nous découvrîmes d’un coup d’œil toutes les sinistres conséquences d’une telle proposition, et nous lui représentâmes que l’intervention d’une puissance étrangère, pour ramener des sujets à l’obéissance, ne pouvait que produire un effet contraire, fournir un sujet de plainte aux malintentionnés, faire soupçonner l’impuissance du souverain, exciter les égarés et décourager les fidèles; que c’était au gouvernement, au gouvernement seul, à prendre les mesures pour ramener ses sujets, et que tout au plus on p(^ir-rait convenir des moyens de coopération, si les troupes françaises devaient continuer d’occuper les forts de Bergame et de Brescia. « Il parut hésiter sur ce dernier point, disant qu’au milieu de la fermentation des idées nouvelles, il encourrait quelque blâme, en se déclarant contre des principes auxquels il se reconnaissait redevable en partie du succès de ses armes, et s’il fournissait des secours pour réduire des hommes, coupables peut-être envers leur gouvernement, mais partisans déclarés de la France ; que seulement il obéirait, dans le cas où le directoire le lui ordonnerait formellement; mais qu’il persistait à croire que le moyen le plus sur, pour se garantir desdangers d’une insurrection générale, était d’imiter l’exemple du roi de Sardaigne, c’est-à-dire de se lier plus étroitement avec la république française. « Voyant où tendait celte insinuation, nous lui dîmes que les rapports entre les deux républiques étaient déjà si intimes, et les procédés de la nôtre si ingénus, que le moindre pas qu’elle ferait au delà la placerait hors du système dans lequel elle mettait sa sûreté ; et que le sénat ne pourrait prendre une détermination sur un point aussi délicat, qu’au moment où la paix ferait connaître l’état ultérieur et les rapports réciproques des diverses puissances européennes. « Alors, tâchant avec assez de finesse de nous écarter de l’objet principal que nous avions en vue, il nous rappela, et en quelque sorte nous reprocha le long séjour du comte de Provence à Vérone, l’asile donné à Venise au duc de Mo-dène, et surtout à ses trésors, les fonds considérables appartenant aux ennemis de la France, et qui, selon lui, existaient à Venise, notamment ceux du roi d’Angleterre; et, à ce sujet, il laissa entrevoir des desseins qpi pourraient être une occasion de gra'nds embarras pour la république. Nous répondîmes à ces diverses imputations, sans pouvoir nous flatter de l’avoir convaincu, et nous le ramenâmes à l’objet le plus essentiel de notre mission; mais nous ne pûmes en obtenir ni aucune promesse, ni des réponses plus positives. La conférence se termina par une invitation de revenir le lendemain, afin de prendre le temps HISTOIRE DE VEMSE.— T. II. mandants français, s’ils y avaient pris part, et il se proposait, dans ce cas, de les faire punir. Du reste, de réfléchir plus mûrement sur ces importantes affaires. « Le lendemain, dès que nous nous présentâmes, il nous demanda si nous avions pensé à ce qu’il nous avait dit, et, sans attendre notre réponse, il ajouta que, la république française ayant déclaré qu’elle ne se mêlerait pas de la forme des autres gouvernements, le sénat pouvait prendre, relativement à Bergame et à Brescia, les mesures qui lui paraîtraient les plus convenables, en ayant soin seulement de l’en informer d’avance, pour prévenir tout conflit avec les troupes françaises; mais que, tout bien examiné, il lui semblait plus opportun d’attendre la réponse du directoire. « Nous lui fîmes observer que, dans une crise semblable, les moindres délais pouvaient être funestes, que l’incendie s’étendrait ; à quoi il répliqua que c’était au sénat à prendre une détermination, et qu’au reste il était instruit que déjà on faisait marcher des troupes vers la terre-ferme. « 11 nous fit lire un rapport, qu’il venait de recevoir dans le moment, sur les événements de Brescia, lequel, à très-peu de chose près, était conforme à nos propres renseignements. Ensuite il nous montra une pétition des insurgés, qui sollicitaient l’appui de la république française; mais nous remarquâmes que cette pétition n’avait ni date ni signatures. « Dans l’une et l’autre conférence, ajoutaient les députés, on traita d’autres points très-pénibles à discuter. « Nous le priâmes d’adoucir la déplorable condition des sujets de la république, et de soulager le trésor de la charge que lui occasionne l’entretien de l’armée française. La victoire ayant conduit cette armée dans les provinces allemandes, nous avions lieu d’espérer que l’État de Venise serait délivré du poids qui l’accable depuis dix mois; et que notre épargne, dispensée enfin de fournir à la subsistance de ces troupes, pourrait voir le terme de tant de sacrifices; après quoi, nous insinuâmes que nous osions compter sur sa justice pour la réalisation des indemnités qui nous avaient été promises. « Nous étions bien loin de nous attendre à sa réponse. « Il commença par nous dire que son armée était dans l’indispensable nécessité de tirer ses approvisionnements du pays qu’elle laissait sur ses derrières, c’est-à-dire de notre territoire ; que, cette armée s’étant considérablement accrue, on ne pouvait pas éviter d’augmenter les réquisitions; qu’il voyait avec peine qu’une si grande charge dût encore peser sur des provinces déjà épuisées, et que le seul expédient qu’il trouvait pour l’alléger, était que le sénat fournît, soit en argent, soit en denrées, une somme d’un million par mois, et cela pendant six mois, à moins que la guerre d’Italie ne fût terminée plus tôt. 11 ajouta qu’il avait toujours reconnu les inconvénients de la méthode des réquisitions, que la nécessité seule pouvait la justifier,qu’elle donnait lieu à beaucoup d’abus, qu’il en avait entretenu plusieurs fois notre provéditeur, lui représentant quecette méthode occasionnait la dissipation des ressources et le mécontentement des peuples, qui avaient à reprocher à leur gouvernement de les abandonner, et de ne pas s’interposer entre l’armée et eux. Il conclut que, si le sénat s’engageait à lui fournir le secours mensuel qu’il demandait, non-seulement il délivrerait les provinces de toutes réquisitions à venir, mais encore qu’il ferait fixer positivement 1G