1G4 HISTOIRE DE VENISE. déportèrent deux cents familles sur la côte d’Afrique. Cependant l’armée du grand-visir s’avancait vers l’isthme de Corinthe. La Hotte des Vénitiens s’était renforcée de quelques vaisseaux, sans pouvoir se mesurer avec celle du capitan-pacha. Les détachements de troupes jetés dans la Morée ne suffisaient pas pour assurer la conservation des places. Les gouverneurs de la Suda et de Spina-Longa, en Candie, réclamaient inutilement des secours. Les frontières de la Dalmatie n'était couvertes que par ces peuplades belliqueuses, qui habitent les montagnes de cette côte, et qui combattaient, beaucoup moins par dévouement à la république que par animosité contre les Turcs. XUI. Le grand-visir se présenta devant Corinthe, le 20 juin 1714. Cette place se rendit après cinq jours de tranchée ouverte, et quoique la garnison eût capitulé, elle fut presque entièrement passée au fil de l’épée. Le reste fut conduit sur les galères du capitan-pacha, pour avoir la tête tranchée, devant le port de Naples de Rotnanie, à la vue des troupes vénitiennes accourues sur le rempart. Le passage de l’isthme de Corinthe était forcé; nouvelle preuve de l’inutilité de ces lignes de fortifications, dont la défense exigerait une armée entière, avec laquelle on n’attend pas l’ennemi derrière une muraille. Delfino, voyant que les Turcs allaient pénétrer dans la presqu’île, se détermina à faire ravager tout le pays et à brûler les maisons, pour ôter à l’ennemi les moyens d’y subsister. La prise d’Egine et d’Argos, qui se rendirent sans coup férir, annonça quel allait être bientôt le sort des autres places. La plus importante, c’est-à-dire de Naples de Romanie, fut investie au mois de juillet et attaquée avec une grande vigueur. La garnison, commandée par le provéditeur-général Bono, se promettait cependant de faire une forte résistance; mais tandis que les batteries foudroyaient deux bastions, et que la mine renversait la contrescarpe, les assiégeants découvrirent un côté, où il n’y avait pas assez d’eau dans le fossé pour les empêcher de parvenir jusqu’au pied du rempart. Les janissaires tentèrentl’escalade pendant la nuit, pénétrèrent dans la place, mirent le pétard sous une porte et donnèrent la main à leurs gens, qui inondèrent la ville et firent un massacre général de tout ce qui s’y trouvait. L’archevêque eut la tête tranchée. La garnison du château de Morée, qui ne se défendit que cinq jours, fut traitée de même. La terreur égare à tel point la raison des hommes, que cet usage barbare des Turcs, de ne point faire de quartier, ôta aux troupes qui étaient dans Mo-done le courage de se défendre. Leur commandant, Marc Venicr, cl le provéditeur Vincent l’asta, eurent beau les exhorter, les supplierde sauver ou au moins de vendre chèrement leur vie, il n’y eut pas moyen de les empêcher de jeter leurs armes; et, pendant qu’on discutait quelques articles d’une capitu lalion, ces lâches coururent d’eux-mêmes se mettre entre les mains des Turcs. Le grand-visir abusa non moins lâchement de sa fortune, en outrageant et faisant charger de chaînes ces malheureux officiers. Vincent l’asta, tout captif qu’il était, remporta sur lui la seule victoire qu’il pût encore lui disputer, en répondant fièrement à scs outrages, qu’il devait rougir de traiteravec celte indignité de braves gens, qui n’avaient fait que leur devoir, et qui ne lui auraient jamais rendu Modone, si leurs troupes eussent voulu les seconder. Le découragement gagna jusqu'aux généraux. Un homme, qui portait un des noms les plus illustres de Venise, Frédéric Badouer, rendit, sans attendre un seul coup de canon, Malvoisie, la seule place qui restât à la république dans la Morée. Pendant que les Turcs reconquéraient si facilement cette province, le capitaine-général, avec sa flotte, rôdait autour de la presqu’île, se présentant toujours trop tard devant des places qui ne lui donnaient pas le temps d’y jeter des secours. Tantôt évité, tantôt poursuivi par le capitan-pacha, sans jamais en venir à une bataille, il laissait prendre sous ses yeux l’île de Cérigo, faisait sauter les fortifications de Sainte-Maure, au lieu de la défendre, et ramenait dans Corfou une flotte qui n’avait pas combattu. On ne reconnaît plus, dans cette suite de désastres, ni les braves défenseurs de Candie, ni cette audacieuse marine qui avait détruit tant de fois les flottes ottomanes. Officiers et soldats, tout était également frappé de terreur; et le gouvernement se montrait sans activité, sans énergie, comme il s'était montré sans prévoyance. Candie avait été défendue pendant vingt-cinq ans; la Morée venait d’être perdue en quelques mois : et c’était en moins d’un demi-siècle qu’un gouvernement, qu’une nation avait pu dégénérera ce point. Si l’on veut retrouver quelques traces de l’antique valeur vénitienne, c’cst encore à Candie qu’il faut les chercher. Louis Magno et François Justi-niani, qui commandaient, l’un à la Suda, et l’autre à Spina-Longa, ne succombèrent du moins qu’après avoir fait de généreux efforts; mais, abandonnés par la métropole, ils capitulèrent au mois de novembre 1718, et, après celte perte, la république se trouva ne plus rien posséder de scs vastes domaines dans l’Orient. Le gouvernement s’en prit de toutes ces perles au capitaine-général, dont il partageait les torts. On le