140 HISTOIRE DE VENISE. parlie groupée dans les havres de Romanie et de Natolie ; les Vénitiens faisaient des efforts pour l'approcher, et on se canonnait de loin, sans être sùr de s’atteindre. Rendant tout le jour, pendant toute la nuit suivante et le jour d’après, la tempête continua; enfin le troisième jour, lorsque les vagues Curieuses commencèrent à se calmer, l’amiral vénitien ne se trouva plus à portée que de treize de scs vaisseaux, l’rompt à rallier celte divison, il leur fait signal de marcher à sa suite, et se dirige à pleines voiles contre l’ennemi. Il était déjà dans le détroit, et, au mépris du feu des batteries, il allait livrer un dernier combat aux restes de la flotte ottomane, lorsque tout à coup le feu se manifesta sur son vaisseau, et gagna les hautes manœuvres; l’explosion de quelque poudre répandue occasionna cet incendie. Pendant qu’on s’empresse d’en arrêter les progrès, et que Monce-nigo, sur le pont, donne ses ordres, une vergue, dont le cordage brûlait, tombe sur lui, et lui fracasse la tète; son vaisseau s’embrase presque aussitôt. L’équipage, qui ne voit plus de moyens de salut, veut au moins sauver le corps de son général, on le met dans une chaloupe, et, comme elle s’éloignait à peine, le vaisseau saute en l’air, avec cinq cents hommes, parmi lesquels était un frère de Moncenigo. Il fut du petit nombre de ceux que les embarcations des aulres bâtiments retirèrent du milieu des Ilots. Cette catastrophe arrêta le mouvement de l’escadre vénitienne, qui repassa le détroit incontinent, et chercha à se rallier, dans les parages voisins, aux aulres vaisseaux de la république. Non-seulement la mort de l’amiral leur déroba tout le fruit de cette victoire, qu'on appela la bataille des Dardanelles, mais clleenlraina la perte des conquêtes qui avaient suivi la bataille précédente. Les alliés qui étaient dans l’armée prétendirent qu’ils ne pouvaient pas marcher sous un chef qui n’avait pas le rang de généralissime, et se retirèrent. La flotte affaiblie, endommagée, dispersée, s’éloigna. Les Turcs, ralliés par le visir, reprirent courage, envoyèrent des escadres dans les lies de Slalimène, de Samothrace et de Ténédos. Les deux premières n’avaient été occupées que par des détachements; la troisième, qui pouvait, disait-on, se défendre, se rendit, par la lâcheté des deux provédileurs, London et Conla-rini, contre lesquels on fut si indigné à Venise, qu’un jugement les dégrada de noblesse, et qu’un marbre lut placé sur le péristyle de la place Saint-Marc, pour perpétuer la mémoire de leur opprobre et de leur châtiment. Ces actes d’une juste sévérité honorent le gouvernement de la république. Ainsi les Vénitiens avaient remporté la victoire, et les Turcs en avaient recueilli le fruit. Le grand-visir Kiupergli, plus habile, plus maître de l’empire, et par conséquent plus modéré que ses prédécesseurs, fit proposer la paix, en ne demandant que la cession de la ville de Candie et de son territoire, laissant tout le reste aux Vénitiens. Ce ministre jugeait que, si les Turcs'étaient une fois solidement établis dans l’île, la supériorité de leurs forces leur en assurerait la conquête à la première occasion favorable ; l’expérience ne le prouvait que trop, puisque l’occupation du port de la Canée leur avait suffi pour s’y maintenir depuis douze ans. Les Vénitiens ne regardaient pas cette conséquence comme moins certaine. Quand on délibéra dans le sénat sur cette proposition, un des sages insista sur la nécessité de l’accepter ; le doge lui-méme prit la parole, pour faire sentir combien il était urgent de mettre un terme à une guerre où les victoires étaient sans fruit, et où une défaite pouvait être si funeste; mais le procurateur Jean Pesaro combattit avec énergie toute concession, qu’il qualifiait de déshonorante pour la république, et termina sou discours par une exhortation à des sacrifices, dont il donna sur-le-champ l’exemple, en offrant un don patriotique de six mille ducats. Cet exemple fut suivi par tous les sénateurs, par le doge, et les propositions de paix furent rejetées. Le visir rappela le pacha qui commandait depuis 1644 l’armée de Candie, pour le mettre à la tête des forces navales. C’était un piège; Kiupergli voulait le perdre, et se hâta de l’accuser et de le faire étrangler, en apprenant qu’il avait refusé le combat à François Morosini, nouveau capitaine-général des Vénitiens. La campagne suivante ne présenla aucun événement considérable : les Turcs étaient engagés dans une autre guerre en Transylvanie. Leur flotte lut encore battue par Jérôme Contarini,à la hauteur de Samos. Les Vénitiens firent quelques expéditions sans résultat sur les côtes de la Morée. La république perdit le doge Bertuce Valier en 1657, et lui donna pour successeur ce même Jean Pesaro, qui venait de faire résoudre la continuation de la guerre. Le règne de celui-ci ne dura pas trois ans : après lui, le trône ducal fut occupé par Dominique Con-larini. On assure qu’il avait cherché à se dérober a cet honneur; de pareils relus ne sont pas toujours sincères; mais il est certain qu’il pouvait ne pas être ébloui d’une dignité à laquelle sa maison était parvenue depuis plus de six cents ans. 11 était le septième doge de sa famille, et il ne fut pas le dernier (1660). XIX. Les Vénitiens, déterminés à continuer la guerre, négociaient alors avec la France, pour eu