288 HISTOIRE DE VENISE. dogo fit les fonctions de général; ce fut François Morosini le Péloponésiaque; il faut remarquer qu’il ne prit pas le commandement par un acte de sa volonté, il lui fut conféré par la république. Le doge, après son élection, était porté autour de la place Saint-Marc. Rentre dans le palais, il recevait la couronne au haut de l’escalier des Géants, c’est-à-dire à cette même place où Marin Falier, l’un de scs prédécesseurs, avait été décapité. A l’instant même de son couronnement on l’avertissait qu’après sa mort il serait exposé en public pendant trois jours, afin que ceux qui auraient reçu de lui quelque dommage pussent en exiger l’indemnité aux dépens de sa succession. En effet, des censeurs étaient nommés pour examiner son administration, comme s’il eût exercé réellement le pouvoir. On appelait ses créanciers, on obligeait ses héritiers à les satisfaire, sous peine de voir le défunt privé des obsèques publiques; et, à défaut d’abus d’autorité qu’on lui avait rendus impossibles, si on jugeait que pendant son règne il eût pris trop de soin de l’avancement de sa famille, on imposaitune amende à sa succession. Ce fut ainsi que les héritiers de Pierre Loredan furent condamnés à payer à la république une taxé de quinze cents sequins. On avait porté la jalousie jusqu’à prescrire des bornes aux générosités du prince. La dépense des repas qu’il était obligé de donner dans certaines occasions solennelles, était fixée. L’argent qu’il faisait jeter au peuple le jour de son élection, était limité entre la somme de cent ducats et celle de cinq cents. Il n’avait point de gardes; sa maison se bornait à un écuycr, un maître des cérémonies, quelques secrétaires, et une cinquantaine d’huissiers. Du reste, scs vêtements étaient de pourpre et de brocart; sa couronne de forme conique, dont la pointe inclinait en avant, et qu’on appelait, par cette raison, la corne ducale, était enrichie de pierreries. Dans les cérémonies publiques, 011 portail devant lui des trompettes d’argent, un cierge allumé, une chaise de drap d’or, des éperons d’or, des carreaux, une ombrelle; deux de ses officiers soutenaient son manteau; il marchait ayant à ses cêtés le capitaine-grand, suivi de tous ses estaliers, et le grand-chancelier avec tous les secrétaires; à sa suite était un noble portant une épée dans le fourreau; puis les conseillers de la seigneurie, les présidents de la quaranlie criminelle, le conseil des Dix, les avogadors et les procurateurs; le sénat fermait la marche. Dans les conseils, il siégeait sur une estrade, tout le monde se levait à son entrée et à sa sortie. Les secrétaires qui lui apportaient les délibérations, les lui présentaient à genoux, mais c’était avec ces marques de respect qu’011 avait pré- senté à François Foscari la sentence de son fils. X. La justice était administrée par quatre tribunaux, les trois premiers de quarante juges chacun, et le quatrième, dont le nombre a varié, de vingt-cinq à quarante, tous composés de patriciens nommés par le grand-conseil. Le premier, appelé la quarantie criminelle, était le plus ancien et le seul qui eut une part au gouvernement. Tous ses membres siégeaient au sénat, et ses trois présidents dans le conseil du doge. Ce tribunal, juge souverain dans les affaires criminelles, et investi du droit de faire grâce (dont il n’usa jamais, était aussi juge d’appel dans quelques affaires politiques et commerciales, notamment dans les faillites. Il faut observer que, depuis 1624, sa juridiction 11e s’étendait point sur les patriciens, pour les accusations criminelles dont ils pouvaient être l’objet. Les trois autres quaranties étaient les tribunaux civils auxquels étaient soumises les causes d’une certaine importance, ou qui, par le privilège affecté à la localité, devaient être jugées dans Venise. La quarantie civile-vieille jugeait par appel toutes les causes de la capitale, où la demande excédait la somme de huit cents ducats; les deux autres connaissaient des affaires des provinces. On appelait à ces tribunaux des décisions même qui avaient été prononcées dans le collège. Ces cent quarante-cinq juges étaient nommés pour un an, mais rééligibles, et leur confirmation annuelle était devenue une simple formalité. Ils tournaient successivement de l’un à l'autre tribunal, faisant dans chacun un stage de huit mois. Les avogadors remplissaient auprès des quaranties les fonctions du ministère public. Il y avait deux degrés de juridiction; mais leju-gementdu tribunal supérieur n’était définitif qu'autant qu’il était conforme à celui du premier juge. Quand il était différent, l’affaire était renvoyée au tribunal de première instance, pour y être décidée une seconde fois, par d’autres juges que par ceux qui avaient concouru à la première décision. Ensuite l’appel reportait la cause à la quarantie; et si la sentence était cassée, ou recommençait encore, jusqu’à ce que le tribunal inférieur et le supérieur eussent rendu consécutivement deux jugements cou formes. Celle règle et la multitude des appels occasionnaient un encombrement d’affaires qui prolongeait les procès, souvent pendant plusieurs années. Les tribunaux inférieurs étaient en fort grand nombre.Beaucoup n’avaient que desattributions spéciales; et comme rien ne changeait dans celte république, plusieurs de ces juges continuaient d’exisler, lors même que la matière de leur juridiction n’existait plus. Ainsi, par exemple, 011 avait institué trois