48 HISTOIRE DE VENISE. bibliothèque de Saint-Marc s’enrichissait par la munificence de Jean Grimani, patriarche d’Aquilée, d'une collection de statues, de marbres, de médailles et d’antiquités. Aide Manuce, l’aul l’aruta et beaucoup d’autres, élevaient leur patrie au rang des villes savantes, dans un temps où d’autres nations sortaient à peine de la barbarie. VII. Le commerce llorissait, la banque venait de s’organiser. La fortune comblait Venise de richesses; mais l'opulence de l’Etat diminuait au lieu de s’accroître, et les richesses étaient désormais la seule idole des Vénitiens, Pour en juger, il n.’y a qu’à voir comment ils accueillirent un de ces hommes qui se produisent quelquefois effrontément, pour spéculer sur la cupidité d’aufrui. La renommée avait publié qu’un Cypriote, dont le nom était Marc Bragadino, avait trouvé le secret de faire de l’or. Tous les souverains voulaient l'attirer dans leurs Étals. 11 crut devoir la préférence à une ville dont il était né sujet. Aussitôt qu’il eut annoncé son arrivée à Venise, les citadins, les nobles, le sénat, les étrangers , les femmes s’empressèrent de l’accueillir. Il habitait un beau palais, vivait avec splendeur. Tout ce qu’il y avait de riche, tout ce qu’il y avait de grand dans cette capitale formait son cortège et lui prodiguait le litre d'illustrissime. On ne cessa de l’honorer, de le courtiser jusqu’à son départ, et on ne voulut être désabusé sur son compte, que lorsqu'on apprit qu'il était allé se faire pendre chez l’électeur de Bavière. Les passions sont toujours crédules et superstitieuses. Ce charlatan avait deux chiens qu'il avait parés de colliers d’or, et dont il se faisait suivre constamment. Ces deux chiens devaient être pour quelque chose dans la science de l’alchimiste : c’étaient assurément deux génies, deux démons que, par sa puissance, il avait forcés de sortir de l'enfer pour le servir. Le peuple, les avares de Venise, nobles et plébéiens, n'en jugèrent pas autrement; ni l’électeur lui-même, car il fit brûler ces deux animaux sur le corps de leur maître. VIII. Cette soif de l’or ne se manifestait pas pour la première fois dans Venise, mais elle n’était plus accompagnée de ces passions énergiques, qui, même mal dirigées, commandent toujours l'admiration des hommes et leur inspirent de l'intérêt. On a vu combien le seizième siècle avait été fatal à la puissance des Vénitiens. La découverte de l'Amérique et du passage des Indes portait un coup mortel à leur commerce. Les invasions des Français en Italie avaient mis la république à deux doigts de sa perte. Elle voyait sa considération affaiblie, l’État de PÉglise agrandi, et le plus puissant monarque de l’Europe maître de Naples et de Milan. Les progrès des Turcs lui avaient coûté presque toute la Morée, FArchipel, l’île de Chypre, cl lui I avaient fait perdre sa confiance dans ses propres I forces. Sans doute il était difficile, même probablement ■ impossible, que la ville de Venise, privée de l’em- I pire du commerce par la révolution qui s’étail opé-1 rée sur le globe, pressée enlre la maison d’Autriche I et les Turcs, se maintint au rang des puissances du ■ premier ordre; mais peut-être aurait-elle pu con-1 server une plus grande pari au respect des autreí I nations, si, dans sa médiocrité, elle eût fait paral-H tre les verlus de cet état, Plus on est faible, plus on I a besoin de courage. La pauvreté s’ennoblit quand I elle sait garder son indépendance. Le malheur des ■ Vénitiens fut de conserver trop de souvenir de leur I grandeur, et trop d’attachement à leurs richesses. I Déchus de leur puissance, réduits à partager les bénéfices du commerce, après les avoir longtemps accaparés, ils auraient pu se maintenir au rang des Etats du second ordre, ei rester d’illustres négociants, si leur constitution eût été analogue à leur nouvelle situation. Quelque opinion qu’on ait pu se former de leur J organisation politique, il faut reconnaître que, I bonne ou mauvaise, elleeul un immense avantage; I elle fut stable. Ils purent employer à s’agrandir, à s’enrichir, le temps que les aulres républiques d’Italie employaient à changer de lois ou de maîtres. Jamais la tranquillité intérieure de l’État ne fut troublée. Mais Venise, assez forte pour conquérir, I ne le fut pas assez pour assurer à scs nouveaux su- I jets une protection efficace. A peine eut-elle envahi I des provinces en Italie, qu’elle les vit occupées trois I ou quatre fois, et ravagées continuellement par les I ennemis que son ambition avait attirés. Quel alta- I chcmcnl ces peuples pouvaient-ils porter à une nié- I tropolc qui ne les défendait pas? Ils lui montrèrent I cependant de la fidélité, parce qu’ils appréciaient le bienfait d'une administration sage, économe, bien ordonnée, et alors presque inconnue dans les autres Élats. Ainsi la prospérité de Venise fut le résultat de ces causes principales, qu’on peut réduire à trois : Son commerce universel et presque exclusif; Sa marine plus puissante que celle des aulres nations ; Et le bonheur qu’elle eut d’avoir un gouvernement stable et une administration éclairée, longtemps avant les autres peuples. Mais refictde ces moyens était borné comme tout ce qu'il y a dans la nature. Toute la sagesse du sénat ne pouvait pas empêcher que le commerce ne prît une nouvelle route; que la navigation de l’O-céan n’amenât dans l’architecture navale une révolution, qui rendait inutiles les galères de l’Adria-