130 HISTOIRE DE VENISE. Quoi qu’il en soit, la proposition fut admise dans le sénat, dès le mois de février 1643, et le grand-conseil la sanctionna après la perte de la Canée. Voici quel fut le décret : On publia que, parmi les citadins et autres sujets, qui, dans le délai d’un mois, offriraient de payer, pendant uu an, la solde de mille soldats, et qui, pour cet effet, verseraient dans le trésor la somme de soixante mille ducats vénitiens, on en choisirait cinq, pour être élevés au rang des familles patriciennes. On admit à concourir à ces cinq choix les étrangers qui s'engageraient à entretenir douze cents soldats, c’est-à-dire à payer soixante-dix mille ducats. Le choix devait être fait par le grand-conseil à la pluralité des suffrages. On n’exigeait des prétendants que ces conditions: d’étre nés d’un mariage légitime, et de prouver que ni eux-mêmes, ni leur père, ni leur aïeul, n’avaient exercé de profession mécanique. Une clause assez remarquable de ce décret, c’est qu’on y classa les nations étrangères, suivant le degré de préférence dont elles paraissaient susceptibles , d’après leur religion et leurs anciens rapports avec la nation vénitienne. « La magnifique et « royale nation grecque, disait-on, sera préférée, « comme ayant longtemps tenu le sceptre, et comme « ayant bien mérité de la république. Parmi les « peuples d’Italie, nul ne pourra être admis à la « concurrence, qu’en justifiant de toutes les condi-« lions qu’exige la dignité de la noblesse véni-« tienne. La nation allemande sera assimilée à la « nation grecque. Les Français, les Espagnols, les ii Anglais, seront admissibles aux mêmes eondi-« lions. Mais les Juifs, les Turcs, les Sarrasins, ne « pourront concourir, ni pour une somme quclcon-ii que, ni même en alléguant des services rendus; « cl quiconque proposerait un choix dans une de ii ces trois dernières classes, sera puni du bannis-« semenl perpétuel et de la confiscation de ses h biens. » On vient de voir qu’on avait décrété seulement l’élévation de cinq familles; mais quand on s’est mis à vendre des grâces pour de l’argent, ce n’est point une inconséquence d’en vendre tant qu’il se trouve des gens en état de payer. Au lieu de cinq patriciens à créer, on en admit quatre-vingts; on baissa même le prix de celle faveur. Le trésor public se grossit d’une somme de huit millions de ducals, et il fut constaté que le titre de noble vénitien ne valait que tel prix. Mais il n’y a de grands honneurs que ceux qui passent pour inestimables. VII. Pendant qu'on prenait ces mesures de finance, on avait armé une flotte : vingt et une galères des princes d’Italie étaient arrivées à la fin du mois d’août, pour la renforcer, et le cardinal Mazarin of- frait le concours de l’armée navale de France, sous des conditions qu’il se flattait apparemment qu’on n’accepterait pas:ce secours se réduisit à trois brûlots. On avait eu occasion de s’apercevoir que le partage de l’autorité entre le gouverneur de Candie et l’amiral, nuisait aux opérations défensives. Beaucoup de voix s’élevaient contre le commandant de la flotte, Capello, qui, aussitôt que les Turcs s’étaient approchés de la Suda, était sorti de ce port, et avait conduit ses galères à Settia, c’est-à-dire à l’autre extrémité de l’ile. La Suda était investie; Candie allait l’être. Toutes ces considéralions déterminèrent le gouvernement à nommer un généralissime. Le choix se fixa sur Jérôme Morosini. Il entra dans le port de la Suda le 4 septembre, ravitailla la place, envoya l’ordre à tout ce qu’il y avait de bâtiments de guerre dans l’ile de venir le joindre, et se trouvant à la tête de cent galères ou gros vaisseaux, il sortit pour livrer bataille à l’ennemi. Les contrariétés accidentelles, qui font si souvent manquer les entreprises dans les campagnes de mer, empêchèrent que le combat n’eût lieu, et, dès le premier jour d’octobre, les alliés obligèrent l’amiral à y renoncer, en se séparant de la flotte vénitienne, pour aller hiverner dans leurs ports. Il y avait déjà de la mésintelligence entre les Vénitiens et leurs auxiliaires; ceux-ci étaient partis mal approvisionnés; après un mois de campagne, le biscuit commençait à leur manquer, et les officiers de la république ne voulurent jamais leur en fournir. Les alliés s’étant séparés, la flotte turque sortit delà Canée, et regagna Constantinople; de sorte que cette campagne se termina, sans que les Vénitiens eussent fait autre chose, qu’augmenter les fortifications et les approvisionnements des places qui leur restaient dans l’île. Le plus difficile était de trouver des soldats ; les troupes qui défendaient ces places étaient absolument insuffisantes; les Vénitiens avaient donné des commissions pour la levée de cinquante mille hommes, et il ne leur en arrivait pas dix mille, quoique le roi de France leur eût permis de recruter dans ses États. Les peuples de l’ile, mécontents de la république, ne témoignaient pas autant d’aversion qu’on l’avait espéré pour la domination ottomane. Le peu de succès de cette campagne fit sentir encore plus vivement la nécessité d’augmenter l’autorité de celui qui était chargé de la défense de la colonie, non-seulement en mettant à sa disposition les forces de terre et de mer, mais encore en l’investissant de l’autorité civile, comme du pouvoir militaire. Dans celte grave circonstance, le gouvernement vénitien s’écarta de l’une de scs constantes maxi-