200 HISTOIRE DE VENISE. couronnées ; la noblesse, le peuple, tout concourut à manifester une affection vraiment nationale; aussi l’ambassadeur de France écrivait-il : « Si des ar-« mees victorieuses, si des flottes françaises étaient « dans le voisinage de Venise, les honneurs rendus « au prince voyageur ne seraient pas plus pom-« peux. » Peu de temps après le passage de ce prince, la reine de Naples vint aussi à Venise; enfin l’empereur Léopold II arriva en Italie. Le concours de tous ces personnages ne pouvait être fortuit. La république nomma, pour conférer avec le ministre autrichien, le procurateur François Pesaro ; le choix de ce confèrent, que nous verrons bientôt se signaler par sa haine contre la France, indique assez quel devait être l’objet de la négociation. L’Europe, à cette époque, se trouvait dans une grande agitation. À l’orient, la Russie, l’Autriche et la Turquie combattaient sur les rives du Danube. A l’occident, la France bouleversait sa constitution intérieure. L’Espagne était en guerre avec l’empereur de Maroc. Au nord et au midi, deux puissances, la Suède et la cour de Naples, s’abandonnaient sans mesure à l’impulsion de l’Angleterre. Le gouvernement de Malte, aux prises avec une conspiration redoutable, se voyait à la veille de sa destruction, et celle ¡le était depuis longtemps l’objet des ambitions rivales de l’Angleterre et de la Russie. En Italie, le roi de Sardaigne ne pouvait voir qu’avec effroi une commotion qui devait ébranler son trône : le pape avait déjà à se plaindre de l’envahissement d’Avignon. Ce fut dans ces circonstances que l’empereur vint faire un voyage et même un assez long séjour dans la Lombardie. Le caractère modéré de cc prince, ses habitudes, et la circonspection reconnue des conseillers en qui il avait placé sa confiance, faisaient croire qu’il s’engagerait difficilement dans une entreprise aussi hasardeuse que celle qui devait avoir pour objet le rétablissement de l’autorité royale en France, la protection de tous les intérêts lésés et la sécurité des États limitrophes; aussi dit-on qu’il fut entraîné à ce voyage par ceux qui voulaient l’isoler de ses conseils et l’entourer de personnes plus passionnées. Ses premières démarches, les premiers discours qu’il tint en Italie, manifestèrent ces sentiments de modération dont on cherchait à le faire sortir. Il dit au résident de Venise qu’il s’occupait uniquement du soin d’assurer à ses sujets un bonheur paisible. Il refusa une entrevue que lui proposait le roi de Sardaigne. Il en eut une seule avec le prince frère de Louis XVI. Il s’excusa d’intervenir dans les réclamations du pape, au sujet du cointat d’Avignon. Les ministres d’Angleterre et de Prusse se hâtèrent d’arriver à Milan. VII. Les détails des négociations dont cette capitale était devenue le théâtre ne sont pas encore révélés, mais quelque temps après 011 publia en France un traité conclu à I’avic, dans le courant du mois de juillet, entre l’empereur, l'impératrice de Russie, la Prusse et l’Espagne. Cet acte était la proclamation des récompenses promises à toutes les puissances qui entreraient dans la coalition ; récompenses assignées, comme on le pense bien, sur le démembrement de la monarchie française. La partie des Pays-Bas conquise par Louis XIV, et la Lorraine, formaient le partage de la maison d’Autriche, qui devait ensuite échanger les Pays-Bas contre la Bavière. L’Alsace était restituée à l’Empire. On promettait aux Suisses l’évêché de Porentruy, le territoire de Versoy et quelques défilés sur la frontière de la Franche-Comté. Au roi de Sardaigne, la Bresse, le Bugey, le pays de Gcx; en lui permettant même de s’emparer de la province de Dauphiné, s’il faisait une diversion importante. Le roi d’Espagne se réservait le Roussillon, le Béarn, l’île de Corse et la partie française de Saint-Domingue. La Russie et la Prusse ne pouvaient être spectatrices désintéressées de ce partage. Quand une puissance s’agrandit, les autres croient avoir droit à une indemnité. Pour en trouver la matière, il était stipulé que l’impératrice envahirait la Pologne, dont le roi serait contraint d’abdiquer. Kaminieck , une partie de la Podolie et Choczim, qu’on obligerait les Turcs à céder, devaient être réunis à la Russie. Le roi de Prusse acquérait Thorn, Dantzig, la province polonaise qui longe la Silésic, et en outre la Lusacc. Pour dédommager l’électeur de Saxe de là perte de ce pays, on lui composait un royaume de tout ce qui restait de la Pologne. II donnait la princesse sa fille en mariage à l’un des petits-fils de l’impératrice, et par cc moyen le trône de Pologne devenait héréditaire dans la maison de Russie. Quoique l’Angleterre eût un ministre présent à ce traité, elle n’y intervint point comme partie contractante, mais elle y accéda au mois de mars 1792, et la Hollande peu de temps après. Ce projet de partage n’ayant jamais reçu son exécution, ceux qui l’avaient signé étaient intéressés à en nier l’existence ; mais ce n’était pas seulement le gouvernement français qui avait dénoncé cet acte à l’indignation des peuples, les Anglais eux-mêmes avaient mis de la jactance à le publier. Quoi qu’il en soit de l'authenticité de ce traité, la plupart des observateurs politiques paraissent convaincus, et en effet il n’est guère permis d’en douter, que ce