10 HISTOIRE DE VENISE. En défilant devant cette place, elle salua les forts de plusieurs coups de canon. La place rendit le salut, et le gouverneur, se croyant dès lors assuré des dispositions amicales des Oltomans, envoya complimenter le capitari-pacha. Il prit occasion de ce message, pour se plaindre de quelques matelots turcs, qui avaient commis des désordres sur les côtes de l’île. Un moment après, on vit plusieurs de ces misérables pendus à la grande vergue de la capitane, et la flotte s’éloigner. L’armée du grand-seigneur était campée sur le rivage d’Albanie, à un endroit appelé la Valona, c’est-à-dire à quelques lieues au-dessus de Corfou, et sur le point où les côtes de l’Italie et de la Grèce se rapprochent pour former l’entrée du golfe de Venise. De là Soliman faisait passer des troupes sur la côte opposée, pour attaquer les places de la Pouille, et quatre-vingts de ses galères étaient stationnées dans le golfe de Tarente. La communication des deux armées, l’approvisionnement du camp et de la flotte, donnaient lieu à un passage continuel de bâtiments, qui traversaient sans cesse la station vénitienne. Il était difficile qu’il n’en résultât pas quelque accident. En effet, une galère de la république se rencontra avec un petit bâtiment turc qui portait des vivres au camp ; elle lui fit signal de baisser son pavillon, honneur que, suivant les usages de la mer, les navires du commerce doivent aux bâtiments de guerre. Le patron turc n’ayant pas obéi, la galère lui tira un coup de canon de semonce qui le coula à fond. Le sultan était déjà indisposé contre les Vénitiens, parce qu’il avait surpris des lettres de Doria au généralissime de la république, qui supposaient entre ces deux amiraux une parfaite intelligence; celte connivence n’existait pas, mais Doria avait écrit et laissé intercepter ces lettres, pour que le ressentiment des Turcs forçât les Vénitiens à sortir de leur système de neutralité. Soliman, irrité qu’un bâtiment portant son pavillon eut été canonné par une galère de Venise, s'emporta en menaces, et envoya un de ses drog-mans pour demander la réparation de celte insulte. Malheureusement ce messager se présenta à l’entrée du canal de Corfou avec trois galères, qui apparemment ne firent pas les signaux convenus. Quatre galères vénitiennes, qui étaient de garde, coururent sur les Turcs; ceux-ci prirent l’épouvante, et manœuvrèrent si mal qu’ils allèrent s’échouer sur la côte voisine, dont les habitants, à demi sauvages, les firent prisonniers au lieu de les secourir. Sur ces entrefaites arriva Doria, qui s’empara des galères échouées et les emmena. Pesaro, au désespoir de ce nouvel accident, fit mettre en liberté les équipages, mais ne put rendre les galères. Prévoyant bien que le courroux de Soliman allait éclater, il jugea convenable de rassembler toutes ses forces, et fit voile pour se réunir à la flotte stationnée sur les côtes de la Dalmatie. Les vents contrarièrent sa marche. Pendant la nuit, son’avant-garde, étant à l’ancre, vit passer devant elle un gros bâtiment, qui demanda successivement, en italien, à plusieurs galères de quelle nation elles étaient; à quoi on répondit en criant ¡Vénitiens. Lorsque ce vaisseau passa devant la galère du provéditeur Alexandre Contarini, celui-ci l’interrogea à son tour, mais pour toute réponse l’inconnu lui envoya sa bordée. Aussitôt les Vénitiens entourèrent ce bâtiment, le forcèrent à se rendre, et en massacrèrent presque tout l’équipage. Il se trouva que c’était non-seulement une galère turque, mais la galère même destinée à être montée par le grand-seigneur. Le lendemain de cet accident, Pesaro rencontra quatre-vingts galères turques qui venaient sur lui à pleines voiles. Il hésita entre le combat et la retraite, sedétermina pour ce dernier parti, mais trop tard pour que tous ses vaisseaux pussent échapper à l’ennemi ; quatre furent pris par les Turcs, et un cinquième, séparé de la flotte, se jeta dans Olrante. On voit que ce dernier malheur ne serait point arrivé, si le généralissime eût pu ranger cent voiles en bataille, et recevoir le combat. Il est même plus que probable que l’ennemi ne l’aurait pas attaqué. La division de leurs forces donnait aux Vénitiens un tort de plus, celui de fuir après avoir commis plusieurs actes qu’on pouvait prendre pour des actes d’hostilité. V. A la nouvelle de ces événements, Venise fut dans la consternation, Soliman voulait une satisfaction éclatante, et l’exigeait avec hauteur. Le sénat, sans considérer qu’il allait jeter le découragement parmi ses officiers, et augmenter l’arrogance du sultan, fit mettre aux fers et transférer à Venise les capitaines dont les Turcs croyaient avoir à se plaindre. Au lieu de se laisser apaiser par cette soumission, Soliman porta son camp à Butrinto, qui est vis-à-vis Corfou : sa flotte arriva sur la côle de l’ile et y débarqua cinq mille hommes et trente pièces de canon. Ce n’était pas assez pour réduire une place qui avait une garnison de quatre mille hommes et des vivres; mais on ne pouvait regarder les troupes mises à terre que comme une avant-garde, et on savait, par ce qu’on leur avait vu faire au siège de Rhodes, que les Turcs poussaient les sièges avec une grande vigueur (1S57). Le sénat ordonna à son généralissime de rassembler toutes ses forces, d’aller sur la côte d’Italie opérer sa jonction avec la flotte impériale, déjà combinée avec les galères du pape et de Malte, et de li'