LIVRE XXXVIII. 269 foires étrangers, étaient proposés sans pudeur, ! acceptés sans remords; on demandait, on offrait des provinces sur lesquelles on n’avait aucun droit, et la discussion se réduisait à des calculs de statistique. ("était l’importance des cessions qu’on examinait et non pas leur légitimité. Sans doute, après la victoire, la républiqne française était bien la maîtresse de disposer de ses conquêtes ; mais ces dislocations, ces réunions forcées n’en étaient pas moins un oubli de l’indépendance imprescriptible des peuples, et des principes que cette république avait si hautement proclamés. Le grand capitaine, que son épée avait rendu l’arbitre du sort de l’Italie, sentait que, pour que I sa conquête fut durable, il fallait y fonder un État puissant, dont les peuples eussent un jour à bénir sa victoire. Dans celte vue, il avait organisé en république la province du Milanais; il se proposait d’y incorporer les duchés de Modène et de Mantoue, les légations de Ferrare et de Bologne, la Romagne;et y aurait réuni, s’il l’avait pu, tous les États vénitiens. Le traité fait cinq mois auparavant avec Venise, prouve qu’il ne voulait pas la remettre à l’empereur. La forme démocratique donnée à ce gouvernement, cl les échanges de territoire prévus par un article (!) Voici ce qu’on lit à ce sujet dans ses Mémoires,ch. 17. « Oès les premiers pourparlers, tes plénipotentiaires autrichiens accordèrent la cession de la Belgique et de la ligne du Rhin; mais ils demandaient des indemnités; et lorsqu’on proposait d’en donner en Allemagne, en Bavière par exemple, ils ajoutaient aussitôt qu’il fallait garantir dans ce cas la république de Venise dans sa constitution actuelle et consolider l’aristocratie du livre d’or. Mais c’était consolider l’ennemi le plus actif et le plus constant de la république française, ennemi qui, éclairé sur son danger par les événements qui venaient de se passer, n’avait désormais d’autre politique que de se serrer et de faire cause commune avec l'Autriche, et qui effectivement eut fait ligue offensive et défensive avec cette puissance contre la république démocratique italienne : c’était donc accroilre la puissance de l’Autriche, et de la Bavière et du territoire de Venise. Dans les instructions données par le directoire au général Clarke, comme on l’a vu dans le ch. 13, il l’avait autorisé à signer des conditions beaucoup moins avantageuses. La paix était fa volonté du peuple, du gouvernement, du corps législatif; Napoléon la signa. » (2) « Je ne doute pas, écrivait-il le lendemain de la signature du traité, que la critique ne s’attache vivement à le déprécier.»Puis, après en avoir prouvé la nécessité, il ajoute « que jamais, depuis plusieurs siècles, on n’a fait une paix « plus brillante. » « Nous acquérons, dit-il, la partie de la république de Venise la plus précieuse pour nous, une autre partie à la Cisalpine, le reste enfin à l’empereur.Lorsque la Cisalpine a les frontières les plus militaires peut-être de l’Europe, que la Fiance a Mayence et le Rhin; qu’elle a, dans le Levant, Corfou, place extrêmement bien fortifiée, et les autres îles, que veut-on davantage? » Ainsi que le négociateur l’avait prévu, on critiqua sévère- secret, annonçaient assez qu’une partie des États vénitiens clait destinée à agrandir la nouvelle république lombarde. La gloire du négociateur, d’accord avec sa politique, s’opposait donc ci ce qu’on cédât à l’Autriche une partie du territoire de Venise; mais il ne se dissimulait pas que laisser subsister cette république, c’était assurer à l’Aulriche une alliée en Italie (1); enfin le traité était beaucoup plus avantageux à la France que les préliminaires : il fallait avoir égard aux chances de la guerre : il fallait prendre en considération la situation intérieure do la France, divisée par des factions, et surtout le besoin de la paix, si universellement senti, et si fortement exprimé (2). De son côté l’Autriche, après avoir épuisé tous les projets de compensation, senlait qu’il ne pouvait y en avoir de plus avantageuse pour elle que l’acquisition du territoire vénitien, à cause de sa proximité, de sa fertilité et de la vaste étendue de scs côtes. Cet espoir excitait dans le cabinet de Vienne une nouvelle ambition ; celle de se créer une puissance navale, et de succéder à Venise dans la domination de la mer Adriatique. Mais l’occupalion de Corfou par une autre puissance mettait un obstacle insurmontable à ce que l’Autriche eût des forces ment ce traité; on oubliait que le directoire avait offert d’évacuer toute l’Italie, Quand on eut connaissance des préliminaires, on s’indigna de l’article qui laissait Mantoue aux Autrichiens. « Mantoue, disait-on, est la place d’armes « de l’Italie; maîtres de Mantoue, ifs le sont de toute la « Péninsule. » Quand on lut dans le traité définitif que l’empereur ne gardait plus Manloue, mais qu’il acquérait Venise, on se récria non moins vivement sur cette concession. a Venise était une place inexpugnable; on avait créé « en faveur de l’empire une petite Angleterre, d’où la puis-« sance autrichienne menacerait sans cesse l’Italie, sans « pouvoir jamais être atteinte. Venise était la dominatrice « de la Méditerranée ; l’Autriche allait s’emparer du com-« merce du Levant. Ce ne sont pas, ajoutait-on, des cessions a que fait l’Autriche, mais des échanges. Le traité a été « arraché à l’empereur, c’est à la France qu’il aurait dû « être arraché. » Il y a apparence que ceux qui faisaient ces critiques n’avaient jamais assisté à la discussion d’un traité de paix. Les Mémoires du négociateur nous apprennent, ch. 17, que les Autrichiens avaient tenté de séduire son ambition, mais ils étaient loin d’en concevoir la mesure. « Ce fut, dit-il, dans une de ces conférences de Gratz qu’un des plénipotentiaires, autorisé par une lettre autographe de l’empereur, offrit à Napoléon de lui faire obtenir à la paix une souveraineté de 2S0 mille âmes en Allemagne, pour lui et sa famille, afin de le mettre à l’abri de l’ingratitude républicaine. Le général sourit; il chargea le plénipotentiaire de remercier l’empereur de cette preuve de l’intérêt qu’il lui portait, et dit qu’il ne voulait aucune grandeur,aucune richesse, si elle ne lui était donnée par le peuple français. L’on assure qu’il ajouta : « Et avec cet appui croyez, messieurs, que mon ambition sera Satisfaite. »