LIVRE XXXI. 93 circonspection, qu’ils semblaient tenir à tous les partis à la fois. Le duc d’Ossone, quoiqu’il ij’ignorât point que, pour se rendre populaire, il n’en coûte le plus souvent aux grands que des maximes, avait donné au peuple de Naples des gages de sa sincérité, en affectant de ne ménager ni le clergé, ni la noblesse. II s’aperçut probablement que c’était préparer des obstacles à l’exécution de son dessein ; car le changement que l’on remarque dans sa conduite me parait indiquer l’époque où il conçut l’espérance d’usurper le trône. X. La plupart des auteurs qui ont parlé de son projet, en font mention sous la date de 1619, parce qu’en effet c’est vers cette époque qu'il commença à transpirer; mais tout ce qui avait été fait jusque-là avait exigé du temps. 11 était naturel que le vice-roi eût choisi, pour entreprendre des négociations avec des puissances étrangères, et pour concevoir le projet de se révolter contre son souverain, le moment où l’Espagne était en guerre avec le duc de Savoie, et l’Autriche avec les Vénitiens. Aussi est-ce pendant cette guerre qu’il ralentissait l’envoi des secours réclamés avec instance par le gouverneur de Milan. Ici je laisse parler un historien italien. « La guerre était extrêmement échauffée entre le roi catholique et le duc de Savoie, surtout depuis que dom Pèdre de Tolède avait pris le gouvernement du Milanais ; le duc d’Ossone, dès son arrivée, avait reçu l’ordre d’assembler des troupes et de lui envoyer des secours; mais pour dix soldats qu’il faisait passer dans le Milanais, il en levait trente pour l’exécution de ses desseins, plus grands que jamais, depuis son arrivée à Naples (1). » Il se conduisit de la môme manière avec l’archiduc Ferdinand. On lui recommandait de faire passer en Allemagne des troupes et des munitions; il s'obstinait à les envoyer par Trieste, prévoyant bien que de ce côté-là il rencontrerait immanquablement des obstacles, puisqu’il s’agissait de traverser l’Adriatique. La cour de Madrid lui prescrivait d’envoyer trois cent mille écus à Vienne; il répondait que le trésor de Naples était épuisé. Aussi les Autrichiens l’accusaient-ils hautement, jusqu’à dire 1 qu’il était aisé de connaître qu’il avait quelque dessein, ce dont ses actions rendaient suffisamment témoignage, et surtout le refus d’assister la maison d’Autriche en Allemagne; le plaisir qu’il semblait prendre à l’affaiblir, pour parvenir à ses fins secrètes; les prétextes inventés, pour se dispenser d’envoyer de l’argent ; le soin qu’il prenait de diriger les munitions et les soldats par les chemins les plus longs et les plus dangereux, afin de les faire (1) Gregovio I.eti, 3° livre de la 2« partie. arriver trop tard, ou tomber entre les mains des ennemis. i> Ces refus, ces manèges, ces reproches, tout cela n’a pu avoir lieu qu’antérieurement au 6 septembre 1617, époque où fut signé le traité entre la république de Venise et l’archiduc Ferdinand. 11 n’est pas rare qu’on trouve dans un même historien des faits contradictoires ; par exemple, Nani, et d’après lui l’historien de Naples Giannone, ad-mettentdans leurs récitsla conspiration du ducd’Os-sone pour s’emparer du royaume de Naples, et cela, quelques pages après avoir raconté la conspiration du même duc d’Ossonc contre les Vénitiens. Ils ne se sont pas aperçus que nécessairement l’un de ces faits devait détruire l’autre. Ils supposent que le vice-roi ne conçut le projet de se déclarer indépendant que quand il se crut perdu à la cour de Madrid. Mais pourquoi se serait-il cru perdu, s’il n’était point coupable? pourquoi l’excès du zèle l’aurait-il plongé dans la disgrâce, tandis que son complice Bcdemar resta en faveur? par quel changement subit aurait-il passé de l’excès du zèle à la révolte ? comment aurait-il osé compter sur les secours de la république de Venise, après avoir attenté à son existence? cl comment, après avoir échoué dans ce complot, aurait-il eu le temps d’en tramer un autre, dont l’exécution exigeait tant de négociations et de préparatifs? D’ailleurs il y a des faits qui tiennent à la conspiration de Naples qui sont antérieurs à la prétendue découverte de la conspiration contre Venise. Un autre historien dit positivement que, lorsque le vice-roi fit communiquer secrètement son projet à la cour de France, le duc de Luynes venait de succéder à la faveur du maréchal d’Ancre; et la mort de celui-ci eut lieu le 24 février 1617 : donc, il est évident que ce projet existait au moins dès les premiers mois de celte année. XI. Pour conserver l’affection du peuple, le vice-roi engagea dans ses intérêts l’élu Jules Genovino, qui était alors le tribun populaire de Naples; homme de sens et de résolution, adroit, et jouissant d’une grande influence. 11 le fit continuer dans sa charge. Pour regagner la noblesse, il se montra affable envers tous, généreux, magnifique envers quelques-uns, et chercha, par la distribution des places, à se faire des créatures. Le plus difficile était de s’attacher le clergé. Il cajola les religieux, s’assujettit, ainsi que la vice-reine, à des pratiques de dévotion, visita les couvents, y laissa des marques de sa libéralité; acheta une maison de plaisance dont il fit don aux jésuites; engagea la vice-reine à prendre un confesseur de cet ordre, et choisit pour lui-même le père Antoine Caraffa, personnage d’une grande naissance, d’une