188 HISTOIRE DE VENISE. dclle de Vérone. C’était une chose sans exemple que l’arrestation d’un avogador en charge. Cet acte d’autorité occasionna une agitation ex-Irènie, qui mit en péril l’existence du conseil des Dix. On voulut d’abord déposer l’inquisiteur, qu’on accusait d’avoir excédé ses pouvoirs; cette proposition seule était une témérité inouïe. Bientôt on mit en question dans le grand-conseil la nécessité de conserver le tribunal. L’époque du renouvellement des membres du conseil des Dix arriva, on eut beau proposer successivement un grand nombre de candidats, pas un ne réunit le nombre de suffrages nécessaire. Les hommes graves, ennemis naturels des innovations, profitèrent de cette circonstance pour gagner du temps. Ils proposèrent de nommer une commission pour examiner les changements dont l’organisation du conseil des Dix et des inquisiteurs d’État pouvait être susceptible. Les séances où l’on discuta cette proposition furent très-orageuses; cependant elle fut adoptée. On eut beaucoup de peine à parvenir à la nomination des commissaires : il en fallait cinq ; les deux partisse balançaient tellement dans l’assemblée, que deux des membres de la commission se trouvèrent appartenir à l’un, deux à l’autre, cl que le cinquième était d’un parti moyen. Ce partage des opinions ralentissait leur travail ; cependant les nouveaux décemvirs restaient à nommer; ce fut encore un sujet de discorde. Beaucoup de volants voulaient différer la nomination ; elle fut décrétée. Alors on (il circuler des biliels anonymes; on trouvait tous les jours, dans l'urne des scrutins, des bulletins satiriques qui demandaient le rappel de Querini, et qui menaçaient de l’indignation publique les futurs dépositaires de l’autorité, s’ils n’en usaient pas avec plus de modération que leurs prédécesseurs. On parvint cependant à faire les choix. La commission délibéra pendant quatre mois; cette lenteur favorisait assez les partisans de l’ordre actuel des choses.Une recherche avait été ordonnée dans les archives du tribunal; mais le secrétaire qui en avait élé chargé, ne put jamais se déterminer à répondre aux questions qui lui furent adressées, et à révéler ce qu’il y avait vu. Enfin, les commissaires firent leur rapport, qui consistait, non à soumettre un avis, mais à proposer le choix enlre trois partis différents, le maintien du tribunal, l'anéantissement presque absolu de son autorité, et quelques réformes. On commença par attaquer les commissaires; 011 dit qu’ils s'étaient écartés (le leur mission : leurs trois propositions furent subdivisées : les uns voulaient que les inquisiteurs 11e pussent condamner les membres de l’ordre équestre, sans rendre compte de leur jugement ; les autres, que leur autorité se bornât à ordonner les arrestations, et que le droit de juger les prévenus, nobles ou non, fût réservé au conseil des Dix. Louis Zéno, Pierre-Antoine Malipier, Paul Renier étaient ceux qui invectivaient avec le plus de force contre les inquisiteurs : à la téte du parti contraire se trouvaient le procurateur Marc Fosearini, et Jérôme Grimani. I.es harangues qui furent prononcées dans cette occasion, forment d’énormes volumes. On s’agita pendant deux mois, cl, lorsqu’on en vint à délibérer dans l’assemblée, composée de neuf cent soixante-dix votants, le premier tour de scrulin ne donna point de résultat; au second, la majorité 11e fut que de deux voix. -Mais un symptôme de cette faiblesse qui se remarque toujours dans les assemblées, c'est qu’il y eut deux cent cinquante-sept voix nulles. Par ce décret, le conseil des Dix et les inquisiteurs furent maintenus dans toute leur autorité; la réforme se réduisit à obliger ceux-ci à se servir d’un secrétaire du conseil des Dix, qui serait nommé tous les ans par ce conseil, au lieu d’en avoir uu spécial, permanent, et de leur choix. Dès que la délibération fut prise, la perte des orateurs qui s’y étaient opposés fut regardée comme certaine, elle peuple courut faire (les illuminations et des feux de joie devant les maisons des promoteurs du décret; on voulait brûler celles de leurs adversaires. Ces applaudissements n’étaient pas purement de la flatterie; le peuple éprouvait une joie maligne d’avoir vu scs maîtres se débattre sous le joug, sans pouvoir s’en affranchir, et rester soumis à une autorité despotique qui le vengeait de leur insolence. Mais si ces traits caractérisent les sentiments du peuple vénitien, je ne dois pas en omettre un qui fait connaître la sagesse des hommes graves qui présidaient aux conseils de cette république. Les inquisiteurs d’État, qui sortaient avec la plénitude de leurs pouvoirs de cette lutte engagée contre eux, usèrent avec modération de la victoire, se renfermèrent d’eux-mêmes dans des limites plus étroites; et la somme qu’ils tiraient annuellement de la caisse publique, pour en disposer sans en rendre compte, fut réduite, par eux, de 140,000 ducats à 53,000. XXI. En 1773, Ange Querini, cet avogador déposé douze ans auparavant par l’inquisition d’Etat, se trouvant à la tète d’une des quaranties, s’éleva contre le conseil des Dix. Les inquisiteurs imposèrent silence à ses adhérents, en l’envoyant en exil. A son retour, il dénonça au grand-conseil les abus manifestes qui existaient dans la manière de recueillir les suffrages, et qui attentaient à l’autorité du conseil, en faisant des lois qui 11e devaient leur existence qu’à une majorité fictive ; mais le jour