214 HISTOIRE I)E VENISE. de ce monarque, attendu la minorité du royal enfant prisonnier dans la tour du Temple, avait pris le titre de régent du royaume, s’arrêta dans les Étals de Venise, en revenant de Turin, et fixa son séjour à Vérone. Mais il n’y déploya point ce caractère, et le nom de comte de Lille cacha le prince que la Providence réservait pour fermer les plaies de la France. Le gouvernement de Venise, qui, malgré l’incognito, l’avait envoyé complimenter à son premier passage, l’accueillit avec honneur à son retour, sans négliger cependant de s’assurer de la tolérance du gouvernement français, et d’environner le casino de Gazzola d’une surveillance qu’on a eu l’indiscrète témérité d’avouer, en publiant quel-ques-unesdes observationsqui en furent lcrésultat. Le sénat ne désespéra point de concilier le respect dù à une si auguste infortune avec la bonne harmonie qu’il voulait maintenir à tout prix entre la république vénitienne et le gouvernement français, alors triomphant de toutes parts. 11 ne pouvait plus se dispenser, après avoir admis le ministre français, d’en envoyer un à Paris; on l'avait nommé, mais son départ se différait à l’aide de divers prétextes, lorsqu’une lettre du résident vénitien à Bâle, en date du 17 février 1798, annonça deux nouvelles qui devaient mettre fin à tous ces délais. Ce résident écrivait que le gouvernement français préparait une invasion en Italie; qu’il n’y destinait pas moins de cent quarante mille hommes; qu’on était résolu d’en expulser les Autrichiens, après quoi, disait-on , la Lombardie pourrait être partagée entre le roi de Sardaigne, le grand-duc de Toscane, et la république de Venise. Cet avis devait exciter à la fois chez les Vénitiens la crainte et l’espérance; mais ce qui suivait était encore plus décisif, pour les déterminer à garder une véritable neutralité. Le résident ajoutait qu’on parlait de projets de paix entre la France et plusieurs des puissances coalisées; que ce soupçon s’accréditait tous les jours; et, parmi ses autorités, il citait l’ambassadeur de la république française à Iiâie. En effet, le grand-duc de Toscane, sans avoir été en état de guerre déclarée contre cette république, venait de se réconcilier avec elle. Quant aux puissances belligérantes qui songeaient à se détacher de la coalition, les soupçons se portaient nécessairement sur la Prusse, à qui la présence d’une armée russe en Pologne et les troubles de ce royaume devaient inspirer un vif désir de rendre disponibles les troupes que la guerre actuelle la forçait de tenir sur le Rhin. Il était plus difficile de deviner quels pouvaient être les autres États qui négociaient leur paix sépa-parée. La Hollande était menacée de près. Le roi de Sardaigne devait se croire au moment d’ètre écrasé. L’Espagne voyait ses barrières forcées et plusieurs de ses places prises. Il était possible que Naplcs voulut détourner le danger, quoique plus éloigné. Quelles que fussent à cet égard les diverses probabilités, il était clair que ce n’était pas le moment de mécontenter la république française. On commença par envoyer à l’ambassadeur Pizani, qui depuis si longtemps avait quitté Paris, et s'était retiré en Angleterre, l’ordre de revenir dans cette capitale, pour y prendre congé dans les formes. Les lettres de créanced’AlviseQuerini, nommé pour lui succéder, furent expédiées le 7 de mars. Après cet acte, qui manifestait une détermination bien formelle, ce nouveau ministre trouva encore plusieurs prétextes pour différer son départ, et pour prolonger son voyage; mais, pendant ces délais, la Hollande fut conquise, la Prusse et l’Espagne se détachèrent de la coalition. Enfin il arriva à Paris, et se présenta au milieu de la convention nationale, le 50 juillet 17915. « Citoyens représentants, dit-il, le citoyen d’une république dont la liberté, qui remonte à plus de onze siècles, fut fondée dès sa naissance sur l’horreur du joug des Barbares, et sur le modeste désir de vivre tranquilles, trouve bien des motifs d’ètre pénétré profondément de la confiance dont sa patrie l’honore, en le chargeant de la représenter auprès d’une république dont les exploits et les victoires ont, dès ses premières années, attiré et fixé les regards de tout l’univers. h Quoi de plus flatteur et de plus intéressant pour moi que de paraître dans le sein de la convention nationale de France, pour y confirmer les sentiments de parfaite amitié que le sénat et la république de Venise conservent à la république française? J’espère, citoyens représentants, être assez heureux pour concourir au maintien de l’harmonie qui subsiste depuis si longtemps entre les deux nations. C’est là le vœu que forme la mienne, et ce sera l’objet de tous mes soins. Je chercherai à atteindre ce but par tous les moyens possibles, et j’attacherai mon bonheur à y réussir. C’est ainsi qu’en justifiant le choix de ma patrie, je me Oatte de mériter la confiance de la convention nationale. Je m’estimerai heureux surtout, si, en admirant de plus près sa sagesse, je vois, durant le cours de ma mission, luire ce grand jour, dans lequel, s’élevant par ses vertus au dessus d’elle-même, elle voudra que les premiers, les vrais, les plus beaux fruits de sa gloire tournent au soulagement de l’humanité, en rendant la paix à l’Europe.» Après les traités que la république venait de conclure, Ta France et l’Autriche allaient combattre corps à corps. Il était évident que les Français ne se borneraient pas à attaquer l’Allemagne, et qu’ils