LIVRE XXXIX. 288 Ces sages étaient divisés en trois classes. Les sages-grands ou sages du conseil, au nombre de six, âgés nécessairement de trente-huit ans au moins, et tous choisis ordinairement parmi les hommes consommés dans la politique, formaient un comité qui préparait la résolution sur les affaires les plus importantes. I.es sages de terre-ferme, au nombre de cinq, âgés au moins de trente ans, administraient, mais n’opinaient pas dans les délibérations du sénat. L’un, sous le litre de sage-caissier, remplissait les fondions de minisire des finances; l’autre, qu’on appelait le sage à l'écriture, était le ministre de la guerre; enfin un troisième, le sage aux ordonnances, avait le département des milices de terre. La troisième catégorie des sages était composée des cinq sages des ordres (dénomination dont on ignore l’origine). C’étaient des jeunes gens de vingt-cinq ans qui assistaient au conseil, sans voix délibérative, excepté dans certains cas. Ainsi, dans les trois classes de sages, les uns dirigeaient, les autres exécutaient, les troisième se formaient. Les dépêches, les mémoires, les placets, les rapports sur les affaires importantes, étaient lus dans cette assemblée, composée du doge, de ses six conseillers, des trois chefs de la quarantie et des seize sages; c'est-à-dire devant vingt-six personnes. C’était ce qu’on appelaitle plein collège; il s’assemblait tous les matins pour entendre cette lecture. Lorsqu’elle était terminée, le doge, ses conseillers et les trois présidents de la quarantie se retiraient. Les sages restaient en séance, et la délibération commençait; maiselle n’avait lieu qu’entre les six sages-grands, et même il était passé en usage que la décision desaffairesappartint à celui qui était de semaine. On voit que la conduite de l’Élat était à peu près dans les mains d’un seul homme; mais cet homme changeait tous les huit jours, et toutes les affaires étaient nécessairement connues de vingt-six personnes. Les décisions du conseil des sages n’étaient d’ailleurs que des propositions à soumettre au sénat. Là, si elles éprouvaient des objections, les sages les défendaient, en observant que, si l’opposition venait d’un procurateur, d’un ancien sage-grand, ou d’un conseiller du doge, c’était le sage de semaine qui se chargeait de la réponse : si le contradicteur n’était que sénateur en titre, on ne lui opposait qu’un sage de terre-ferme; enfin, on laissait aux sages de la troisième catégorie, c’est-à-dire aux sages des ordres, le soin de répliquer aux autres membres du sénat. Dans ces assemblées, les sages semblaient apporter des commandements plutôt que des propositions ou desconseils. La durée des fonctions des sages n’était que de six mois, et ils ne pouvaient y être rappelés qu’après un intervalle d’un semestre. 11 faut observer que ces remplacements ne s’opéraient point tous à la fois, mais successivement, et qu’il n’y avait guère qu’un vingtième des familles patriciennes qui concourut à fournir les sages de terre-ferme et les sages-grands. Ce conseil intime était véritablement la machine du gouvernement et le représentant du souverain. Dans les circonstances extraordinaires, mais très-rarement, on convoquait tous ceux qui avaient été sages-grands; cette assemblée s’appelait la consulte noire. C’était le collège qui donnait audience aux ambassadeurs étrangers, il se levait pour recevoir les ambassadeurs des rois, le doge seul restait assis et couvert. Considérée dans ses rapports d’étiquette avec les autres puissances, la république était en possession du rang de tète couronnée; parce qu’elle avait possédé autrefois plusieurs royaumes, et elle prenait rang immédiatement après les rois. Elle eut des disputes de préséance avec les électeurs de l’empire germanique et avec le duc de Savoie, depuis que ce prince eut pris le titre de roi de Chypre et de Jérusalem. Quoique de pareilles prétentions ne puissent guère être décidées d’une manière péremptoire, Venise se maintint dans la possession des honneurs dont elle avait constamment joui. Il y eut même un de scs ambassadeurs à Paris, qui, ayant à faire une visite à un ambassadeur extraordinaire de l’empereur dans celle capitale, lui fil dire qu’il n’cntcndail point renoncer à l’égalité des titres. Le ministre impérial trouva cette prétention impertinente, et traita le ministre vénitien de Pantalon, ajoutant qu’il était impossible qu’il eût reçu de pareils ordres de son gouvernement : sur quoi l’ambassadeur de Venise répliqua qu’il ne ferait point sa visite, que scs maîtres approuveraient sa conduite, et qu’un Allemand ne lui apprendrait point ses devoirs ni ses droits. IX. Le soin qu’on a pris, dans le cours de cette histoire, d’indiquer toutes les modifications que l’autorité ducale a successivement éprouvées, dispense de dire ici quelles en étaient les attributions et les limites. On voit assez ce que pouvait être un magistrat, asservi par une représentation continuelle, privé de toute autorité, n’ayant pas la liberté de sortir de la capitale sans permission, réduit à la condition de simple particulier dès qu’il était séparé de son conseil, doté d’un revenu si médiocre qu’il suffisait à peine à sa dépense (douze mille ducats, à peu près cinquanle mille livres de France), toujours entouré