HISTOIRE DE VENISE. ou en ruines. Une bombe de Morosini tomba sur le Parthénon, dont les Turcs avaient fait un magasin à poudre; et ce fameux temple, qui, dit-on, avait coûté plus de quarante millions, attesta par scs débris que la fureur des peuples policés n’est guère moins funeste aux arts que l’ignorance des barbares. Après la victoire, les Vénitiens brisèrent, en voulant l’enlever, la statue de Minerve, ouvrage de ce Phidias, plus habile encore à représenter des dieux que des hommes. Athènes capitula et devint un poste avancé, d’où les Vénitiens purent protéger leur nouvelle conquête. Ils assiégeaient Malvoisie, mais sans faire beaucoup de progrès. Morosini, à la tête d’une flotte de deux cents voiles, se disposait à l’attaque de Né-grepont. Ses victoires avaient répandu un si grand éclat sur les armes de la république, qu’elle lui décerna une de ces récompenses dignes des temps anciens, et faite pour exalter les nobles ambitions. On éleva son buste dans la salle des armes, au palais ducal, avec celle inscription : «A François Mo-11 rosini, le Péloponésiaque; de son vivant. » IV. Peu de temps après, en 1688, la mort du doge fournit à la reconnaissance nationale un nouveau moyen de s’acquitter. A peine Justiniani eût-il fermé les yeux, qu’on vit dans toutes les rues de Venise des placards qui portaient : Celui qui vous a donné un royaume, a bien droit à une couronne. Le généralissime fut élevé à la magistrature suprême. On lui envoya deux assistants, qui, avec le provéditeur de l’armée, devaient former son conseil. Dans ce conseil, le doge n’avait que sa voix ; seulement elle était prépondérante en cas de partage. Plus le prince était illustre, plus l’aristocratie devait chercher à limiter la double autorité qu’on lui confiait. On peut ajouter que l’ordre de la noblesse n’était pas naturellement porté à élever Morosini sur le trône. On a vu qu’il avait, dans cet ordre, beaucoup d’ennemis; mais, en se servant des populaires, pour faire révoquer l’élection de Jean Sagredo, on les avait accoutumés à manifester leur opinion sur le choix, et cette fois, ils avaient pris l’initiative. Ceint de la couronne ducale, Morosini partit le 8 juillet du golfe d’Égiiie, pour aller assiéger Nègre-pont. Six mille hommes défendaient cette place, environnée de bonnes fortifications, qui avaient déjà, dans les temps antérieurs, soutenu tour-à-tour les efforts des Turcs et des Vénitiens. Morosini débarqua à peu près quinze mille hommes; le comte de Konigsmarck commença l’investissement, éleva cinq batteries, et obligea les assiégés à se renfermer dans leurs murailles. Malheureusement le siège était à peine entamé, que la peste se manifesta dans le camp, et moissonna un tiers de l’armée. Le comte de Konigsmarck lui-même y succomba, après s’èlre illustré dans ces deux dernières campagnes. On lui donna pour successeur Charles-Félix Galléas, duc de Gadagne, dans le Comtat-Vcnaissin; c’était un général de réputation, qui avait servi sous le maréchal deTurenne. Mais, pourreprendre les opérations du siège avec quelque vigueur, il fallut attendre des renforts. Le séraskier de l’île saisit ce moment pour attaquer dans scs lignes celle armée épuisée par la maladie : repoussé une première fois, il recommença le combat, et pénétra jusque dans le camp vénitien ; ce ne fut que par les efforts du désespoir, et avec une perle considérable, qu'on parvint à Péloigner. (Quatre mille hommes élant arrivés de Venise, Morosini lit donner un assaut, le 20 août 1688. Un ouvrage extérieur, vaillamment défendu, fut emporté ; il en coûta quinze cents hommes aux Turcs, et la moitié moins aux Vénitiens. Mais de si rudes combats anéantissaient une armée déjà languissante. Elle s’obstina encore, pendant un mois et demi, à battre le corps de la place. Enfin, lorsqu’on y eut fait une large brèche, et qu’une mine eut comblé le fossé, en y renversant la contrescarpe, on tenta un nouvel assaut. Les troupes albanaises et dalmates s’élancèrent sur la brèche; il y eut des soldats qui parvinrent jusque sur le rempart; ces efforts furent infructueux. Celte partie de la muraille était trop escarpée, pour que de la brèche on pût descendre dans la ville, et trop découverte, pour que la position lût lenable: il fallut abandonner l’attaque, et Morosini se décida à ordonner le rembarquement. Obligé de renoncer à Négrepont, il se reporta devant Malvoisie. On a remarqué qu’il avait trouvé au comble des honneurs le terme de ses prospérités. Dès les premiers moments de ce nouveau siège, il fut atteint d’une maladie qui le força de quitter l’armée, et de retourner à Venise, laissant la conduite des opérations au capitaine-général Cornaro. Cependant les événements désastreux de ces quatre campagnes avaient répandu le trouble dans le divan ; il en avait coûté la vie à trois visirs, et le trône à Mahomet IV. Soliman, son successeur, lit faire des propositions de paix, que les Vénitiens rejetèrent, malgré les avertissements que la fortune venait de leurdonner (1689-1690). L’ardeur belliqueuse de la république tenait à l’influence d'un nouveau pontife, qui venait do monter dans la chaire de Saint Pierre. Le sacré collège, voyant des divisions entre les maisons de France et d’Autriche, avait voulu appeler au trône un pape indépendant de l’une et de l’autre de ces puissances. Son choix S’était fixé sur le cardinal