LIVRE XXXIX. 270 d’un costume qui les distinguait des patriciens; et l'épée ne fut conservée que pur les étrangers. Un autre règlement, qui n’était d’abord que de discipline, mais qui devint une loi fondamentale, défendait aux membres de l’ordre équestre toute’ communication quelconque avec les ministres ou agents de l’étranger, sous peine de la vie. J’ai dit qu’en principe tou^ les patriciens étaient égaux, et qu’on ne reconnaissait entre eux d’autres distinctions que celles qui résultaient de leurs fonc-lionsactuelles. Il y avait cependant quelques offices qui donnaient le droit de conserver les marques de la dignité qu’on" n’exerçait plus, comme la toge à grandes manches, la robe rouge. 11 s’était même introduit un usage, en faveur de ceux qui avaient représenté la république dans des ambassades auprès des têtes couronnées : ils prenaient le titre de cavalier (1), et portaient sur leur robe une étole de drap d’or. On ignore l’origine de celte distinction purement honorifique (2), qui était héréditaire dans les maisons Contarini, Ouerini et Morosini (3). Quatre carrières différentes s’olTraient à l’ambition de cette noblesse : celle des magistratures administratives de la eapitale, au nombre de plus de cent, indépendamment de cent cinquante places de juges civils ou criminels, qui conduisait sûrement, mais assez lentement, les hommes de mérite aux honneurs du sénat; l’administration des provinces et des colonies, qui en occupait près de deux cents; le service de la marine, et la carrière diplomatique. En général, les charges dans la capitale et même dans les provinces de terre-ferme ne donnaient qu’un revenu fort modique. Les gouvernements de Brescia, de Bergame, de Vérone, de Vicence, de Padoue, de Ctriozza, de Zara, étaient onéreux à cause de la représentation qu’ils exigeaient. Il n’y avait que quelques places dans les colonies qui pussent être considérées comme lucratives. Le savant Soranzo évalue les émoluments du recteur de l'île de 'fine à dix mille ducats ; ceux du provéditcur de Zante à vingt mille; ceux du provéditeur de Cé^ phalonie à douze; ceux du provéditeur de Corfou à sept ; ceux du capitaine de Raspo en Istrie à douze; (1) Dans le recueil des pièces manuscrites provenant de la bibliothèque de Brienne, qui se trouvent maintenant à la Bibliothèque du Roi, il y a un volume (no 274), où on peut voir les lettres par lesquelles le roi Charles IX créa chevalier Louis Contarini, ambassadeur de Venise à sa cour. (2) Il y a un passage de Voltaire où il cherche à se rendre raison de cet usage. » Le simple titre de chevalier, dit-il, que les rois d’Angleterre donnent aux citoyens, sans les agréger à aucun ordre partisolier, est une dérivation de la chevalerie ancienne et bien éloignée de sa source. Sa vraie filiation ne s’est conservée que dans la cérémonie par laquelle les rois de France créent toujours chevaliers les ambassadeurs qu’on leur envoie de Venise, et l'accolade est ta ceux des autres commandements dans les ¡les à trois ou quatre. Ces émoluments n’étaient point fixes. Us consistaient pour la majeure partie en droits ca-suels , et par conséquent ne pouvaient guère être exempts d’abus. Les ambassades étaient temporaires; on ne pouvait les occuper que deux ans ou quatre au plus. Toutes étaient dispendieuses, à l’exception de celle de Constantinople, qui passait pour la charge la plus lucrative qu’il y eut dans la république. Il fallait coidier des sommes immenses au baile pour en: tretenir les bonnes dispositions des Turcs : ces dépenses secrètes, et le casuel qu’il tirait de tous les étrangers qui se mettaient sous la protection de Saint-Marc, faisaient évaluer le revenu de cette ambassade à plus de cent mille ducats. Ce n’était pas une chose indifférente que l’existence de quelques charges ayant assez d’importance et peu d'émolument. Elles servaient à diminuer l'opulence des patriciens dans les mains de'qui les richesses pouvaient être un moyen dangereux, et elles offraient aux grandes familles une route plus courte pour parvenir aux honneurs. D’autres charges aussi peu importantes que peu lucratives, étaient destinées à ceux qu’on voulait faire rentrer ou maintenir dans un état d’infériorité; on les appèlait la sentine des honneurs du grand-conseil. C’est l’expression d’un Bentbo qui avait été nommé gouverneur d'un petit rocher dans l’Archipel (4). Sarpi avait fait de ce système une maxime de gouvernement. « N’augmentons pas, disait-il, le mince revenu des magistratures, quoiqu’il semble fixé pour donner à ceux qui en sont pourvus un prétexte de prendre, plutôt que les moyens de vivre. La petite noblesse reste par là dans l’abaissement, dans la dépendance et dans la crainte d’ètre punie, si les abus deviennent trop criants. Plus riche, elle voudrait entrer en concurrence avec les grands, mais la -pauvreté coupe les ailes à qui veut prendre l’essor. » Malgré cette autorité, on peut dire que ces magistratures onéreuses avaient de grands inconvénients. Ces gouverneurs encouraient le mépris s’ils étaient trop économes, et la haine s’ils cherchaient à sup- seule cérémonie qu’on ail conservée dans celte installation. (Essai sur tes mœurs, ch. 97.) (3) Le roi de Danemark étant à Venise, demanda l’étole d’or pour un patricien nommé Farsetti qui lui avait fait un bet accueil à Vicence; mais comme ce noble n’était que d’une famille nouvelle, l’affaire souffrit beaucoup de difficultés; l’étole ne fut accordée qu’au bout de 4 mois, et quand le roi fui reparti. (4) Sentina honorum majoris consilii. Ce Jean Bembo étaii gouverneur de Sciota et de Scopulo. Voyez la Dissertation de M. Morelli sur quelques voyageurs vénitiens peu connus.