19-2 HISTOIRE DE VENISE. (holiquc que dans ceux où les lois civiles et religieuses permettent de le dissoudre. Faute de pouvoir rompre le contrat, on supposait qu’il n’avait jamais existé, et les moyens de nullité, allégués avec impudeur par les époux, étaient admis avec la même facilité par des magistrats et par des prêtres également corrompus. Ces divorces, colorés d’un autre nom, devinrent si fréquents, qu’on vit jusqu’à neuf cents demandes de cette nature portées à la fois devant le patriarche, que l’acte le plus important de la société civile se trouva de la compétence d’un tribunal d’exception, et que ce fut à la police de réprimer le scandale. Le conseil des Dix ordonna, en 1782, que toute femme qui intenterait une demande en dissolution de mariage, serait obligée d’en attendre le jugement dans un couvent que le tribunal désignerait. Bientôt après, il évoqua devant lui toutes les causes de cette nature. Cet empiétement sur la juridiction ecclésiastique ayant occasionné des réclamations de la part de la cour de Home, le conseil se réserva le droit de débouler les époux de leur demande, et consentit à la renvoyer devant l’ofiieialité, toutes les fois qu’il ne l'aurait pas rejetée. Il y eut un moment où sans doute le renversement des fortunes, la perte des jeunes gens, les discordes domestiques, déterminèrent le gouvernement à s’écarter des maximes qu’il s’était faites sur la liberté de mœurs qu’il permettait à ses sujets : on chassa de Venise toutes les courtisanes. Mais leur absence ne suffisait pas pour ramener aux bonnes mœurs toute une population élevée dans la plus honteuse licence. Le désordre pénétra dans l’intérieur des familles, dans les cloîtres; et l’on se crut obligé de rappeler, d’indemniser même des femmes qui n’étaient pas sans utilité, car elles surprenaient quelquefois d’importants secrets, et on pouvait les employer utilement à ruiner des hommes que leur fortune aurait pu rendre dangereux. Depuis, la licence est toujours allée croissant, et l’on a vu non-seulement des mères trafiquer de la virginité de leurs filles, mais la vendre par un contrat dont l’authenticité était garantie par la signature d’un officier public, et l’exécution mise sous la protection des lois. Les parloirs des couvents où étaient renfermées les filles nobles, les maisons des courtisanes, quoique la police y entretint soigneusement un grand nombre de surveillants, étaient les seuls points de réunion de la société de Venise, et, dans ces deux endroits si divers, on élait également libre. La musique, les collations, la galanterie, n’étaient pas plus interdites dans les parloirs que dans les casins. Il y avait un grand nombre de casins destinés aux réunions publiques, où le jeu était la principale occupation delà société. Le plus fréquenté de ces casins s’appelait la Redoute. Ce n’était pas un établissement indigne de l’attention de l’observateur; il existait depuis 1676. C’était un vaste édifice consacré aux jeux de hasard; il y avait communément 60 ou 80 tables, où les patriciens seuls pouvaient siéger comme banquiers, ils y étaient en robe et à visage découvert, tandis que les autres joueurs étaient en masque; mais ccs patriciens ne tenaient pas la banque pour leur propre compte, ils étaient aux gages des compagnies qui s’associaient pour cette spéculation, c’est-à-dire descapilalislcscupidesetmêmedes Juifs; ils étaient payés à l’année, au mois, à l’heure. C’était un singulier spectacle de voir autour d’une table des personnes des deux sexes en masque, et de graves personnages en robe de magistrature, tenant la banque, les uns et les autres, implorant le hasard, passant des angoisses du désespoir aux illusions de l’espérance, et cela sans proférer une parole. Les riches avaient des casins particuliers; mais ils y vivaient avec mystère; leurs femmes délaissées trouvaient un dédommagement dans la liberté dont elles jouissaient. La corruption des mœurs les avait privées de tout leur empire; on vient de parcourir toute l’histoire de Venise, et on ne les a pas vues une seule fois exercer la moindre influence.