LIVRE XXXIX. 281 tribunaux pour prononcer sur les affaires commerciales qui pouvaient s’élever dans les comptoirs de Damas, d’Alexandrie et de Londres, et les tribunaux subsistaient encore dans ces derniers temps, quoique le commerce de Venise n’eût conserve aucune relation avec ces ports. Quant au (Jfoit vénitien, il se composait du code de Justinien, des statuts particuliers à Venise, et de beaucoup de coutumes. Les juges opinaient avec des boules affirmatives, négatives et indécises. Le temps accordé aux avocats, pour leurs plaidoiries, était limité. Les avocats et les procureurs étaient soumis à des taxes que le tribunal des conservateurs des lois fixait proportionnellement à l’importance du cabinet de chacun d’eux. On vit en 1766 une chose jusqu’alors inconnue à Venise: une femmequi avait été séduite par un gentilhomme du Erioul vint plaider elle-même sa cause devant la quarantie civile, et gagna son procès. Dans les affaires civiles, toute sollicitation était interdite. Les magistrats recevaient du trésor public de très-médiocres appointements, et rien des plaideurs; mais ceux-ci n’en payaient pas moins des épices. On se plaignait de ce que la justice était chère, lente, embarrassée de formes; mais on rendit si constamment hommage aux lumières et à l’intégrité de ces tribunaux, que souvent les plaideurs étrangers y portèrent volontairement leurs contestations. Les quaranties méritèrent leur réputation en faisant justice de leurs propres membres. Dans le xvnc siècle, il y en eut un qui fut accusé d’avoir prévariqué. Il se réfugia en France, et parvint à inspirer quelque intérêt au roi Louis XIII, qui daigna faire demander que ce fugitif ne fût pas traité trop sévèrement. Ce coupable fut obligé de se présenter pour purger sa contumace, et condamné à une prison perpétuelle, malgré la recommandation de son auguste protecteur. Il résulte de ces détails qu’un corps de juges permanents, non de droit, mais de fait, composaient les quatre tribunaux où se décidaient en dernier ressort tous les procès de l’Etat; que ces juges roulaient entre eux et siégeaient alternativement dans chacune des quaranties ; que chacun, passant à son tour huit mois dans la quarantie criminelle, avait pendant ce temps séance au sénat, et qu’il y avait toujours trois membres de cette quarantie admis à siéger dans le conseil intimedu gouvernement. Ainsi les magistrats étaient initiés à la politique et à l’administration. D’un autre côté, à mesure que le conseil du prince se renouvelait, trois de ces conseillers passaient dans la quarantie criminelle pour la pré- H1STOIRE DE VEXISE.— T. II. sider, de manière que les trois places do chefs de la justice étaient réservées aux chefs de l’administration sortant de charge. Ils y trouvaient l’avantage de joindre l’expérience du magistrat aux connaissances de l’homme d’État; mais en même temps ils y portaient les maximes du gouvernement. C’était le gouvernement qui entrait dans la magistrature. Ce corps avait donné quelquefois de l’ombrage au conseil des Dix. On le vit mettre en possession de l’héritage de Victor I’isani, un fils que ce patricien avait eu d’un mariage cassé par les inquisiteurs. On ne trouva pas de meilleur moyen pour affaiblir les quaranties, que d’y faire entrer des hommes appartenant aux premières familles de l’Élat, qui n’étaient pas des jurisconsultes de profession, mais plus ambitieux et par conséquent plus souples et moins invariables dans leurs maximes. XI. Les hommes, dans leurs terreurs et dans leurs passions, ne savent jamais respecter ces règles et ces formes qui sont les conservatrices des droits de tous; ils sont toujours prêts à se livrer sans précaution à qui s’offre pour les venger. La terreur qu’une conspiration avait répandue dans Venise, y fit établir, au commencement du quatorzième siècle, un tribunal à qui on ne recommanda que de la vigilance et de la sévérité. Dix patriciens, qui devaient être âgés de quarante ans, et pris dans des familles différentes, furent revêtus d’un pouvoir sans responsabilité, sans appel, comme sans limites. Ils s’en servirent pour perpétuer leur existence, qui ne devait être d’abord que de peu de jours, et pour envahir, non-seulement les attributions de la magistrature, mais les fonctions de l’administration et l’autorité du gouvernement. Nous avons vu le conseil des Dix négocier des traités, à l'insu du sénat et de la seigneurie. Quand ils voulurent étendre encore leurs attributions, ils cherchèrent à se renforcer, par l’adjonction momentanée d’un certain nombre de patriciens. Celte méthode, qui leur avait réussi d’abord, finit par compromettre leur existence. La conservation de ce conseil fut mise en question; et s’il fut maintenu, ce fut du moins avec quelques règles qui déterminaient ses attributions plutôt qu’elles ne les limitaient, et avec l'adjonction nécessaire et permanente du conseil du prince, laquelle avait l’avantage de faire perdre à ce tribunal la force résultant de son homogénéité. Depuis ee moment, il se trouva composé du doge, de ses six conseillers, et des dix membres nommés par l’assemblée générale de l’ordre équestre, pour un an, et qui n’étaient rééligibles qu’après deux ans d’intervalle. Ce conseil était environné d’un appareil assez formidable. Une fustc, ou petite galère armée, était toujours stationnée près du lieu où il tenait ses séan- 19