HISTOIRE DE V ENISE. le parti le plus avantageux à leurs intérêts communs. Si la trame odicusequelesénat attribua dans cette occasion au marquis de Bedemar était imaginaire, comme on le présume, il n’en est pas moins vrai que ce ministre secondait, par tous les moyens que lui fournissait sa profonde connaissance des ressorts du gouvernement de la république, les desseins formés à Naples et à Milan pour abaisser sa puissance. Le sénat les déconcerta. Le prompt supplice des agents français frappa l’esprit du peuple, qui se persuada qu’il venait d'échapper à un grand danger. L’Espagne désavoua scs ministres, qui perdirent leur crédit en Italie; et la France, détachée enfin de la cour de Madrid, renouvela ses liaisons avec Venise et le due de Savoie, pour balancer en Italie la puissance autrichienne, qui y était encore si redoutable. » Voilà le récit de l’académicien de Berlin. Voici les observatuns dont il parait susceptible. Il est constant qu’on avait proposé au duc de Ne-vers une entreprise sur l’Albanie, et qu’on lui avait représenté les Grecs comme prêts à se révolter en faveur d’un prince qui prélendaitdescendredc leurs anciens maîtres. Mais jusqu’ici celte entreprise ne paraissait avoir été conseillée que par des aventuriers attachés au duc. M. Chambrier veut au contraire qu’elle ait été conçue par un moine alors assez obscur; que pour éloigner ce seigneur, ce moine n’ait pas trouvé de moyen plus simple qu'une croisade; que l’Espagne, à qui les cabales du duc de Nevers n’occasionnaient probablement aucun embarras, soit entrée dans ce projet; enfin qu’on ait offert au duc de Savoie le commandement de cette expédition. Ainsi trois puissances de l’Europe, oubliant leurs anciennes inimitiés, se seraient liguées et auraient entrepris une guerre contre l’empire ottoman, uniquement pour délivrer le nouveau favori de Louis Mil de la présence d’un courtisan incommode. A qui persuadera-t-on qu'une entreprise de cette conséquence ait pu être le résultat d’une intrigue de cour? 11 ne faut que se rappeler l’état de la France après la minorité de Louis XIII, pour juger si ce prince était en état d’entreprendre une guerre contre les Turcs. Ce que nous avons dit du caractère de Philippe 111, roi d’Espagne, et de son premier ministre, repousse également cette suppo-silion que la cour de Madrid eût pu adopter le projet d’une croisade. Quant au duc de Savoie, qu'avait-il à gagner dans une expédition d’outre-mer, lui qui n'avait ni troupes suffisantes pour faire des conquêtes, ni marine [tour les garder? Comment, au sortir d'une guerre contre l'Espagne, se serait-il éloigné de ses Etats, les laissant à la merci des Français et des Espagnols? Il n’y avait donc aucune raison dans ce projet, et par conséquent il n'y a aucune, vraisemblance dans cette ligue. Nous avons encore la lettre par laquelle le capitaine Jacques Pierre envoyait au duc de Nevers le plan d’une expédition dans le Levant. Celle lettre existe à la bibliothèque du Roi, elle est accompagnée d’un discours adressé aux Vénitiens pour les engager à se jeter entre les bras de la France. Cette pièce est apostillée de la main de l’ambassadeur de France qui résidait alors à Venise; mais quelle est cette apostille? La voici : Discours impertinent fait par le défunt Jacques Pierre. L’ambassadeur se serait-il exprimé ainsi si ce projet eût été celui de sa cour? On ne peut donc admettre que la France et l’Espagne aient voulu faire la guerre aux Turcs. Si elles n'ont jamais eu ce projet, les Vénitiens n’ont pas pu le dénoncer, ou du moins la dénonciation n'a pas pu faire manquer l’entreprise. Remarquez que M. Chambrier ajoute, que la république devait craindre que la cour de France ne regardât comme une offense le supplice de deux Français (Jacques Pierre et Renault). C'était un singulier moyen de pallier cette offense, que d’en faire périr deux ou trois cents autres. Je ne saurais dire où l’auteur a pris que le capitaine Renault était à Venise un agent secret du duc de Savoie. Mais cette circonstance, en la supposant vraie, n’influe nullement sur l’explication de l’événement. M. Chambrier se trompe, lorsqu'il assure que le roi d’Espagne désavoua le marquis de Bcdemar. Il est constant au contraire que ce ministre n’avoua rien, cl que la cour n’eut rien à désavouer. Enfin cet écrivain a cédé, comme cela arrive trop souvent à ceux qui ont imaginé un système, à la tentation de se créer des autorités, quand il n'en trouvait pas. Il rapporte une lettre de l’ambassadeur de France, où il lui fait dire que loin de penser à conspirer, Jacques Pierre n'était occupé que des desseins du roi de France et du duc de Aeters suite Levant. Cette phrase semblerait annoncer bien positivement que le roi de France avail des desseins sur le Levant. Malheureusement elle ne se trouve pas dans la lettre dont l'original existe à la bibliothèque du Roi. Voici les propres expressions de Léon Bruslart : Il ne s'occupait qu’à servir te roi et M. le duc de Aerers en ces desseins du Levant. Je reviens à l’abbé de Saint-fleal : il a trouvé un zélé défenseur dans le journal de Verdun (I), où M. Dreux du Radier a entrepris d'accjbler de témoignages, qu'il croil irrécusables, l’auteur de la dissertation imprimée en 17o6, contre l'existence I de la conjuration. Cette réfutation des doutes de I (I; \orti 1756.