126 HISTOIRE DE VENISE. LITRE XXXIII. GUERRE DE CANDIE, 1614-1669. 1. Il est fort difficile d’expliquer pourquoi les Turcs accordèrent si promptement la paix à la république, conservant un profond ressentiment contre elle, et ayant une si belle occasion de satisfaire leur inimitié. On s’exposerait à inspirer peu de confiance, si on avait la prétention de démêler tous les ressorts secrets qui ont amené les résolutions d’une cour mystérieuse, éloignée, où les ministres et les princes se succèdent quelquefois avec rapidité, et dont les historiens, d’ailleurs si peu connus de nous, n’admettent presque dans leurs récits que les événements militaires, dédaignant même, après avoir raconté une guerre, de faire mention du traité qui la termine. Il est possible que la conduite des Turcs ne fût point le résultat d’un plan : mais, soit qu’il faille attribuer à l’état déplorable de l’armée et de la santé d’Amurat, la facilité de ce prince à se réconcilier avec les Vénitiens; soit que la politique du divan voulût préparer des coups plus certains, en inspirant plus de sécurité ; soit qu’il fallût une nouvelle guerre à l’ambition d’un ministre, il est constant que celle-ci fut entreprise sans prétexte, et commencée sans déclaration (1644). Amurat IV était mort. Son frère Ibrahim, qui lui avait succédé, joignait à beaucoup de vices la faiblesse d’esprit, plus dangereuse encore. Ses vices paraissaient ne devoir faire naître des alarmes que dans son empire, et son incapacité rassurait la chrétienté; mais la fortune lui avait donné un visiren- (1) Nouvelle relation de la ville et république de Venise, par I'Kescuot, Ire partie. La république n'ayant que deux patriciens agrégés à l’ordre, et les obligeant de résider treprenant, qui forma un vaste projet pour l’agrandissement de la puissance ottomane. Il arriva, en 1644, que les galères de Malle prirent un vaisseau que le sultan envoyait à la Mecque, et une flotte marchande qui allait au Caire. Ibrahim, à cette nouvelle, se livra à une telle fureur, qu’il jura d’exterminer le nom chrétien. Les Vénitiens, moins que tous les autres, devaient être responsables des entreprises de l’ordre de Saint-Jean; car ils n’avaient, dans toute leur noblesse, que deux maisons qui y fussent affiliées, les Cornaro et les Lippomani; encore les membres de ces familles, qui étaient pourvus de commanderies qu’elles-mêmes avaient fondées, étaient-ils obligés d’en jouir à Venise, la république ne leur permettait pas d’aller servir sur les galères de la religion (1). Il y avait sur le vaisseau pris par les Maltais une sultane avec un fils qu’elle avait eu d’Ibrahim. Les chevaliers, loin de rendre ces deux prisonniers, qui étaient réclamés vivement, les emmenèrent à Malte. La mère y mourut de douleur, et l’enfant fut confié à des moines, qui en firent un dominicain. Le sultan fit mander devant son visir les ambassadeurs de France et d’Angleterre, le baile de Venise et le résident des Provinces-Unies; il voulait les rendre responsables de la perte de sa flotte et de la captivité de son fils. Ces ministres représentèrent que leurs gouvernements n’y avaient eu aucune part, que l’ordre de Malte était un État indépen- à Venise, se faisait représenter à Malte par un noble de terre-ferme, chevalier de l’ordre, qui portait le titre d’homme de la république.