LIVRE XXX. LIVRE XXX. GUERRE DES USCOQUES ET GUERRE DU MONTFEKRAT, 1G07-1618. I. L’accommodement entre la république et le saint-siége consolida la paix extérieure dont Venise jouissait. Elle éprouva la douleur de perdre dans Henri IV, en 1G10, un allié puissant, dont l’amitié avait été cimentée par des services réciproques (1G12). Le doge Léonard Donato, qui mourut en 1612, laissa l’Etat dans une tranquillité profonde. Le choix de son successeur fut une espèce de révolution inespérée pour l’ancienne noblesse. Il y avait plus de deux cents ans qu’elle n’avait fourni un doge à la république. On raconte que dix-neuf familles s’étaient coalisées pour exclure constamment de la première dignité, les maisons puissantes, dont l’orgueil était devenu choquant. 11 n’y avait que Venise, où une coalition de cette espèce put se maintenir pendant plusieurs générations. Il est probable que les inquisiteurs d’État favorisèrent sous main ce système d’exclusion contre des familes dont ils redoutaient l'influence. Marc-Antoine îlemmo fut élu à la place de Léonard Donato, et l’on ajoute que l’un des membres de la coalition , nommé Venier, se pendit de désespoir de n’avoir pu empêcher cette élection. Sous le règne de ce nouveau doge deux causes de guerre se développèrent ; l’une fut la continuation des brigandages des Uscoques, l’autre la contestation élevée entre les maisons de Savoie et de Gonzagues, pour la possession du Mont-ferrat. J’ai déjà eu plus d’une occasion de placer dans cet ouvrage le nom des Uscoques; mais j’ai réservé tous les détails qui les concernent, pour les présenter dans leur ensemble, à l’époque où l’histoire de cette peuplade se lie avec celle de Venise ; car celte race de pirales a eu ses historiens. II. Le mot Uscoque signifie en langue dalmalc transfuge. Les invasions des Turcs dans la Croatie, la Dalmatie et l’Albanie, réduisirent quelques habitants de ces provinces à chercher un asile sur des points à peu près inaccessibles. Un seigneur feuda-taire de la Hongrie, qui occupait la forteresse de Clissa, au dessus de Spalato, y reçut un assez grand nombre de ces fugitifs, au commencement du xvi° siècle. De là ils faisaient des courses dans le territoire ottoman, et partageaient avec leur protecteur le butin qu’ils avaient enlevé. Ces hostilités continuelles attirèrent les Turcs sur Clissa. Les Uscoques défendirent cette place avec beaucoup d’opiniâtreté pendant un an. Enfin elle fut emportée, et le reste de ces malheureux se trouvait errant sur les montagnes. Ferdinand d’Autriche, averti que les Turcs voulaient aussi s’emparer de la petite ville de Segna, offrit sa protection aux Uscoques, dispersés depuis le désastre de Clissa, s’ils voulaient se charger de garder ce nouvel asile et d’en tenir les Turcs éloignés. Segna est située au fond du golfe de Quarnero. Des montagnes et des forêts la défendent du côté de la terre ; une multitude de petites lies, d’écueils, qui forment des canaux sinueux et des bas-fonds, la rendent inaccessible du côté de la mer, pour tout autre bâtiment que des barques légères; et cette mer, sans cesse agitée par les vents que repoussent les montagnes, couvre souvent ces écueils de naufrages. Les Uscoques, établis dans cette position, n’a-