LIVRE XXX. lées, pas même celle des bâliments : jamais le canon tic la côte autrichienne, lorsqu'il tirait sur les corsaires, ne les atteignait; enfin, quelques marchands de Venise, qui étaient allés solliciter, à la cour d’Autriche, la restitution de leurs vaisseaux, disaient avoir reconnu chez les ministres des effets qui faisaient partie de la cargaison. L’historien des Uscoques ajoute à ce sujet cette réflexion : On fait un litre de louange à la maison d’Autriche, de ce que jamais elle n’a puni ses ministres par la perte de la vie, ni même par la confiscation de leurs biens, quelque mal acquis qu’ils pussent être. Elle en mériterait peut-être davantage, si, libérale à récompenser, elle eût été exacte à punir. Grâce aux présents que les Uscoques avaient soin de distribuer, ils étaient inexpugnables. Les gouverneurs autrichiens, quand on Jour portail des plaintes, disaient que celte peuplade était fort difficile à discipliner, qu’elle était chargée de la défense d’une longue frontière, qu’il fallait user de ménagements avec elle. On lui avait promis quelque solde, et on ne lui en payait jamais. Enfin, lorsque pressé par de si fréquentes réclamations, ou par un sentiment de justice, le prince ordonnait de réprimer ces excès, et envoyait des commissaires pour punir les pirates, on pendait quelques misérables, les commissaires partaient, et les brigandages recommençaient comme auparavant. IV. Les Vénitiens avaient eu plusieurs fois le projet d’aller attaquer Segna par mer, afin d’extirper le mal dans sa racine; mais les Turcs offraient aussitôt de faire le siège de celte place'par terre, et il était fort dangereux de leur faciliter une conquête qu’ils auraient voulu garder. Un pacha du voisinage, fatigué par cette circonspection, dont il pénétrait sans peine le motif, entreprit, avec les seules forces de son gouvernement, de se délivrer des Uscoques. Sans distinguer pirates ni Autrichiens, il se jeta sur les frontières de la Croatie. L’Autriche attaquée, fut obligée de faire marcher des troupes contre lui ; de sorte que l’empereur se trouva soutenant, les armes à la main, la cause des pirates. Un corps de ses troupes surprit le pacha au passage d’une rivière, et détruisil sa pelile armée. La Porte fit marcher des forces plus considérables, la guerre devint générale : la Hongrie et les pays voisins furent ravagés pendant douze ans. Du moment que les Turcs eurent pris les armes, les Vénitiens ne purent plus agir, car ils n’avaient garde de les attaquer ni de les seconder. Toute leur attention se borna à munir leurs iles, moins contre les Uscoques que contre les Ottomans. Dans cette guerre, les Uscoques servirent comme des pillards, et on les accuse même d’avoir occasionné, par leur désordre, la défaite d’une petite armée autrichienne dont ils faisaient partie. La neutralité que les Vénitiens gardaient dans celte guerre devait leur attirer l'inimitié du parti malheureux. Le gouvernement autrichien, battu par les Turcs, et non secouru par les Vénitiens, laissa les Uscoques se livrer à tous leurs brigandages contre les propriétés de la république. Elle envoya contre eux un provéditeur qui surprit un de leurs postes, et fit mettre à mort lout ce qu’il y trouva. Une flotte de quinze galères et de treille bâtiments armés bloqua leurs divers ports. Ces ports étaient ceux de l’Autriche, cl par conséquent ce blocus devait contrarier un gouvernement jaloux descs droits. On négocia inutilement pour le faire lever. L’audace des pirates prouva que de tels moyens ne suffisaient pas pour les contenir. Iis sortaient de tous les côtés, à la faveur des accidents qui écarlaienl un moment les escadres de la république. Un jour, l’amiral vénitien rencontra une grande quantité débarqués, chargées de plusieurs centaines de ces pirates. 11 leur donna la chasse et les força de se jeler dans un havre près de Scbériigo. Ils se trouvaient dans une ile, environnés par des forces très-supérieures, et les Turcs étaient sur le rivage du continent opposé prêts à fondre sur eux s’ils y abordaient. Dans la soirée, il s’éleva une épouvantable tempête, les galères à l’ancre avaient peine à résister à une mer en fureur. Les Uscoques profitèrent de cette affreuse nuit pour appareiller, et passèrent avec de frêles bateaux au travers de la flotte vénitienne, qui n’osa lever l’ancre pour les poursuivre. On attachait tant d’importance à leur destruction, qu’on voulait la constater. Dix-sept de ces brigands furent surpris dans une petite ile; leurs têtes furent portées à Venise. Dans une autre occasion, on en envoya soixante. Ce hideux trophée fut exposé aux yeux du public le jour de l’Assomption, et fil partie de la pompe que le gouvernement déployait dans celte cérémonie. C’était comme à Constantinople : « On ne se souvenait point, dit l’arche-« vcque de Zara , d’avoir vu lant de lêtes à la fois; >i elles y firent un spectacle très-agréable, 011 exal-« tait le vainqueur jusqu’au ciel. » Les Vénitiens prirent le parti de bâtir des forts qui fermaient les étroits passages par où le golfe de Quarnero communique avec la haute mer. Alors, désespérés de ne pouvoir plus continuer leurs pirateries, les Uscoques firent, par terre, une invasion dans l’istrie vénitienne, sans s’embarrasser si ce nouvel acte d’hostilité n’attirerait pas à l’Autriche, déjà occupée d’une guerre difficile conlre les Turcs, un ennemi de plus. Ce fut l’étendard impérial à la main qu’ils ravagèrent une partie de cette province: