LIVRE « vite, ainsi que le gouverneur de Sebenigo, qu’elle portait. Il est vrai qu’on obtint la restitution de la galère et îles prisonniers, mais on n’osa pas demander une réparation. VI. On jouissait des avantages de la paix ; on se déshabituait des vertus guerrières. Les sentiments patriotiques même s’affaiblissaient dans ce long repos; tant il est vrai que tout a scs inconvénients, et qu’il n’a pas été donné à la nature humaine de conserver longtemps les vertus dont sa situation ne lui fait pas une nécessité. Ou accusa le gouvernement vénitien d’avoir violé les droits de l’hospitalité et du malheur, en livrant, vers la fin du xvie siècle, le roi don Sébastien de Portugal aux Espagnols. Cette accusation est injuste. Ce prince, entrainé par un zèle inconsidéré, était allé faire la guerre en Afrique, et on assurait qu’il avait péri dans la bataille d’Alcazer. Depuis sa mort, les Espagnols s’étaient emparés de son royaume. En 1498, un jeune homme se présenta au sénat de Venise, se donnant pour le roi don Sébastien. Il racontait qu’il avait survécu à la bataille, quelles moines l’avaient recueilli; il avait erré longtemps. Ses aventures inspiraient de l’intérêt, et la connaissance qu’il avait de quelques négociations secrètes, traitées naguère entre le Portugal et Venise, pouvait faire naître quelque confiance. Dès que l’ambassadeur d’Espagne fut instruit de l’apparition de ce personnage, il requit son arrestation. L'inconnu passa à peu près deux ans dans les pri-sonsd’Etat de Venise. Quelques religieux portugais, regrettant un roi qui avait eu le mérite de favoriser l'inquisition, criaient que le prisonnier n’était autre que le prince. Le sénat se méfiait de leur zèle, parce que, disait le doge, les Portugais étaient capables de reconnaître un nègre pour le roi don Sébastien, s’ils eussent pu se délivrer, à ce prix, de la tyrannie des Espagnols. On commençait à répandre des révélations, qui confirmaient l’histoire du prisonnier. Des Portugais et tous les moines s’agitaient en sa faveur. Le gouvernement espagnol voulait qu’on le lui livrât. Les Vénitiens prirent le parti de l’élargir, mais sans vouloir lui donner asile. 11 sortit de Venise, déguisé en jacobin , et se réfugia en foscane, où il fut bientôt reconnu, arrêté, et livré à ses ennemis par le grand-duc. Cette histoire n’a jamais été bien éclaircie ; mais quand il seraitvrai que ce personnage fut le roi don Sébastien, quand les Vénitiens en auraient été convaincus, il n’eùt pas été raisonnable d’exiger de leur part, qu’ils se brouillassent avec l’Espagne pour le rétablir sur le trône de Portugal. •'ans les soixante dernières années du xvie siècle, la paix n’avait été interrompue que par une courte guerre. Pendant ce long intervalle, deux généra- XXVIII. 47 tions s’étaient écoulées sans passer par ces épreuves qui forment les âmes viriles. Quand les Étals se sont montrés ambitieux, un long sommeil leur est toujours funeste. Il est contradictoire de vouloir conserver à la fois les fruits de la guerre et les jouissances de la paix. Oïl a déjà pu remarquer que, dans sa dernière lutte contre les Turcs, Venise n’avait pas déployé son ancienne énergie. Elle avait mal pourvu à la sûreté de l’île de Chypre; elle l’avait faiblement secourue. Les Turcs s’en étaient rendus maîtres en un mois. La belle défense de Famagouste, en couvrant de gloire Bragadino et ses compagnons d’armes, accusait la négligence du gouvernement. On avait déployé des forces navales immenses; mais on n’avait jamais voulu s’en fier à soi-même, et essayer de se défendre avant que des alliés vinssent partager les dangers. Dans la première campagne, ce grand appareil s’était réduit à rien. Dans la seconde, on n’avait approché l’ennemi qu’une fois, et on n’avait pas tiré le moindre fruit d’une victoire éclatante. L’adrni-nislration avait pourvu aux dépenses de cette guerre par des emprunts, par l’aliénation des domaines, par la création de dignités vénales. Ce ne sont point là les symptômes de cette mâle vigueur qui repousse le danger, de ce patriotisme qui s’exalte dans les revers comme dans la prospérité. Il faut qu’un peuple sache se montrer supérieur à tous les sacrifices, pour que l’histoire puisse un jour dire de lui : Magna populi romani fortuna, sed semper in malin major resurrexil. En faisant cette observation, je ne prétends point blâmer ceux qui maintenaient cette république dans un repos qui avait bien ses avantages; je ne veux qu’expliquer les progrès de sa décadence. Quand les calamités de la nature étaient venues affliger les Vénitiens, la paix leur avait du moins offert quelques moyens de les adoucir. L’art n’avait pu prévenir la peste, ni la faire cesser; mais une police active avait contribué à en arrêter la propagation. La disette avait affligé l’Italie. Venise avait fait venir des blés de la Pologne, par le port de Dantzig. On avait perdu l’île de Chypre; mais on procurait des terres, des établissements, du travail à ceux de ses malheureux habitants qui n’avaient point voulu séparer leur sort de celui de la métropole. Des incendies avaient dévoré plusieurs monuments, ils étaient reconstruits. Venise se relevait plus belle et devenait une ville de marbre. Le feu avait consumé, avec le palais ducal, les peintures dont le Titien et d’autres célèbres artistes l’avaient décoré : la main de Paul Véronèse et de Salviati réparait ce désastre. Cette époque est celle où les lettres furent le plus en honneur dans Venise. L’académie se formait. La