LIVRE XXXV. 175 montais à Salo et dans la province de Brcscia. L’armée autrichienne, pour éviter ces différents corps, prit sa route par les provinces plus voisines de la mer; c’est-à-dire par les pays de Bassaho, de Vicence et de Padoue. Ainsi la république voyait toutes les armées sur son territoire, et se trouvait obligée, non-seulement de fournir à leurs besoins, mais de souffrir les insultes et les dégâts inséparables de cet état de choses. Elle se trouva sur le point de sortir de la neutralité qu’elle s’était prescrite, et d’embrasser le parti victorieux; mais il était tard pour se déclarer. Certainement sa politique n’avait pas à s’applaudir des changements qui venaient de s’opérer en Italie ; la maison de Bourbon se trouvait en possession du Milanais, du Parmesan, de Naples, de la Sicile, et on ne pouvait plus lui disputer ia Toscane. Heureusement pour Venise, de si grands succès donnèrent de l’ombrage à l’Angleterre et à la Hollande; elles voulurent intervenir, pour arrêter ces progrès par une pacification dont elles seraient les médiatrices. Le premier ministre de France, le cardinal de Fleury, eut l’adresse de saisir ce moment pour faire, sans aucune médiation, une paix séparée, qui entraînait nécessairement une paix générale. 11 en résulta que les alliés de la France n’obtinrent pas tous les avantages qu’ils s’étaient promis ; mais l’Europe fut pacifiée, et le sort de l’Italie se trouva fixé. Les hostilités cessèrent à la fin de 1755, entre la France et l’Autriche. IX. On était convenu que l’empereur aurait les duchés de Parme et de Plaisance, qu’il rentrerait dans le duché de Milan, mais en cédant au roi de Sardaigne les provinces de Tortone et de Novarre, avec quelques fiefs; que la maison d’Espagne, au lieu de Parme et de la Toscane, garderait les royaumes de Naples cl de Sicile. 11 restait à disposer de la Toscane ; la France en fit le prix de la renonciation du roi Stanislas Leczinski au trône de Pologne: on convint de donner à ce prince les duchés de Lorraine et de Bar, que possédait le gendre de l’empereur Charles VI, François de Lorraine, et on assigna à celui-ci, en échange, le grand-duché de Toscane. La part de la France, dans ce traité, fut la réversibilité de la Lorraine après la mort du roi Stanislas. Cet arrangement était aussi favorable qu’il était permis de l’espérer, pour maintenir dans l’Italie une espèce d’équilibre. La maison d’Autriche n’y conservait que Parme, le duché de Mantoue et le Milanais, amoindri de deux provinces; les Espagnols restaient au fond de la Péninsule; une maison qui jusques alors n’avait rien possédé eu Italie, celle de Lorraine, venait s’établir à Florence; on ne prévoyait pas alors qu’elle se confondrait bientôt avec la maison d’Autriche. Enfin le roi de Sardaigne, agrandi, se trouvait plus en étal de défendre les passages des Alpes. On voit que, si l’on en juge par l’événement, cette nouvelle expérience, comme celle de la guerre pour la succession d’Espagne, prouve que le cabinet de Turin avait pris un meilleur parti que le sénat de Venise. Pendant cette guerre, la république n’eut qu’une misérable discussion de vanité avec le saint-siége : un criminel s’était réfugié dans le palais de l’ambassadeur de Venise, les sbires l’y enlevèrent de force. L’ambassadeur, qui crut ses privilèges violés et sa dignité compromise, partit de Rome. Le gouvernement vénitien, qui ne se rappelait pas que, dans une circonstance pareille, il avait fait avancer du canon pour briser les portes du palais de l’ambassadeur de France, soutint les prétentions de son ministre avec hauteur, avec opiniâtreté ; le nonce du pape fut invité à se retirer, et les relations entre Rome et Venise demeurèrent interrompues, jusqu’à ce que le pape Clément XII prit le parti le plus sage, qui fut de restreindre le droit d’asile, et de faire inviter les ministres étrangers à ne pas protéger des criminels poursuivis par la justice. Venise avait perdu son doge Charles Ruzzini au mois de janvier 1755, et lui avait donné pour successeur Louis Pisani. L’empereur chercha à se dédommager des mauvais succès qu'il venait d’avoir en Italie, en se déclarant l’allié des Russes contre les Turcs. Il sollicita vivement, et à trois reprises différentes, les Vénitiens d’entrer dans cette coalition; mais il n’y avait rien de si dangereux pour eux que d’entreprendre la guerre contre un ennemi si redoutable, avec un allié qui déjà deux fois avait fait la paix à leurs dépens. Ils persistèrent dans leur système de neutralité, et ils eurent sujet de s’en applaudir, lorsqu’ils virent les armées autrichiennes plier devant les troupes ottomanes. Pendant cette guerre, ils n’eurent d'autre soin que de se défendre contre les corsaires barbaresque, et d’éviter, dans les mers du Levant, les rixes entre leurs sujets et les sujet de la Porte; parce que ces affaires étaient toujours suivies, de la part de cette cour, de quelques actes de hauteur, et ne pouvaient se terminer que par des réparations ou des indemnités. X. Du reste, cet état de guerre de l’empire ottoman était assez favorable au commerce vénitien. Mais l’empereur avait déclaré la franchise de son port de Trieste; le pape en avait fait autant pour Ancône; et, depuis que la république ne pouvait plus exercer son droit de souveraineté dans le golfe, de manière à interdire presque tout commerce à ces deux ports, l’avantage que leur franchise pré-