LI Villi XXXVIII. 263 chouer à chaque instant avec de frêles barques, sous le feu de mille pièces de canon, et conquérir l’une après l’autre les îles qui ferment le bassin. Or, les Vénitiens avaient deux ou trois cents bâtiments, huit mille matelots, quatorze mille hommes de troupes; il ne leur manquait que de la résolution et de l’union. Il y avait dans Venise, comme partout ailleurs, beaucoup de gens de toutes les classes, impatients de se ranger du parti de la fortune. La gloire des armes françaises remplissait le monde; mais surtout la révolution, qui s’était propagée depuis les bords de i’Océan jusqu’à l’Adriatique, avait exalté des passions, dont les Vénitiens n’étaient pas plus exempts que les autres peuples. Cette révolution avait des partisans dans Venise même, et on a vu tout ce que les conseils venaient de faire pour les encourager. Il était déjà étonnant que, depuis que le gouvernement tendait à se rapprocher des formes démocratiques, l’oligarchie jalouse eût conservé toutes les siennes; qu’on ne se fût pas encore rapproché des populaires, qu’on ne les eût pas admis, appelés dans les délibérations. Il semblait convenu que le changement projeté ne pouvait être qu’une concession de la caste privilégiée, actuellement en possession du pouvoir; mais cette autorité tremblante ne pouvait se dérober à l’influence de ceux en faveur de qui elle allait se démettre du gouvernement. Sans recevoir leurs suffrages, elle accueillait les conseils, les avis, les inspirations des populaires; et ce n’étaient pas les citoyens les plus sages, les plus dignes d’avoir de l’influence, qui se jetaient alors au milieu des événements. Les membres du comité, qui s’assemblaient chez le doge depuis quelques jours, étaient peut-être plus effrayés des dangers intérieurs que des menaces du général. Il leur semblait à tout instant que la révolution allait éclater dans Venise : ce qui prouve que, de leur aveu, elle y avait de nombreux partisans. Ils conférèrent avec quelques-uns, et se mirent sous leur direction. IX. Le général était à Milan, les commissaires l’y avaient suivi ; il y avait appelé le ministre résidant pour la république française à Venise. Là fut conclu, ou plutôt dicté, le traité dont voici les dispositions. Le grand-conseil, renonçant aux droits héréditaires de l’aristocratie, abdiquait la souveraineté, et reconnaissait qu’elle résidait dans la réunion des citoyens. 11 y mettait seulement cette condition, que le nouveau gouvernement garantirait la dette publique, les pensions viagères, et les secours accordés aux nobles pauvres. Un autre article ajoutait « que la république française, sur la demande qui lui en avait été faite, voulant contribuer, autant qu'il était en elle, à la tranquillité de la ville de Venise, et au bonheur de ses habitants, accordait une division de troupes françaises, pour y maintenir l’ordre et la sûreté des personnes et des propriétés. » « La station des troupes françaises à Venise n’ayant pour but que la protection des citoyens, elles devaient se retirer, aussitôt que le nouveau gouvernement serait établi, et qu’il déclarerait n’avoir plus besoin de leur assistance. Les autres divisions de l’armée française devaient évacuer également toutes les parties du territoire vénitien dans la terre-ferme, lors de la conclusion de la paix générale. « Le premier soin du gouvernement provisoire, était-il dit, sera de faire terminer le procès des inquisiteurs et du commandant du fort du Lido, prévenus d’être les auteurs et instigateurs des Pâques véronaises, et de l’assassinat commis dans le port de Venise. Il désavouera d’ailleurs ces faits de la manière la plus convenable et la plus satisfaisante pour le gouvernement français. «Le directoire exécutif, de son côté, par l’organe du général en chef de l’armée, accorde pardon et amnistie générale pour tous les autres Vénitiens, qui seraient accusés d’avoir pris part à toute conspiration contre l’armée française, et tous les prisonniers seront mis en liberté après la ratification. » La rédaction de cet acte annonçait assez la position désespérée des négociateurs vénitiens. On y stipulait la dissolution du gouvernement de Venise, avec lequel on traitait. On ne réglait nullement cc qui devait être mis à la place. L’une des parties contractantes accordait aux sujets de l’autre pardon et amnistie, termes insolites dans les traités, parce que leur essence est de supposer les deux parties libres, indépendantes, et dans des dispositions amicales. Ce traité ne déterminait ni les forces de la nouvelle république de Venise , ni le territoire qu’elle devait conserver, ni ses rapports avec les autres États. Venise allait être dans l’anarchie; et celte capitale, où il y avait déjà une petite armée do quatorze mille hommes , devait recevoir une division française à titre de protection. 11 parait que cette occupation était l’objet principal du traité pour le négociateur français. Aussi le ministre des relations extérieures, en accusant au général la réception de cette convention, le félicilail-il de ce nouveau succès diplomatique et des moyens qu’elle mettait dans ses mains pour arriver au résultat de la grande négociation. A ces articles patents étaient joints cinq articles secrets. Par le premier, il était convenu que les deux républiques s’entendraient entre elles pour