LIVRE XXXII. 110 plier dans le traité ceux qui avaient été vaincus sur le champ de bataille. La cour d’Espagne en témoigna beaucoup de ressentiment; il fallut recommencer deux fois la négociation, pour en venir à un arrangementdéflnilif;enfin on convintquela France ne retiendrait que l’ignerol, et qu’on accorderait au duc de Savoie une partie assez considérable du Montfcrrat. Ce traité, conclu le 6 avril 1631, fut appelé le traité de Cherasco. Les Vénitiens y étaient compris, et sans faire ni pertes, ni acquisitions, se trouvèrent réconciliés avec l’Espagne. Il n’en fut pas de même de la France : la cour de Madrid ne pouvait consentir à ce qu’elle fit des établissements en Italie; la guerre continua entre ces deux couronnes encore fort longtemps; mais la république évita d’y prendre part. Cette diversion du roi de Suède avait été trop utile aux Vénitiens, pour qu’ils ne cherchassent pas à l’encourager ; ils avaient promis à ce prince un subside de quatre cent mille francs par an. Lorsque son ambassadeur se présenta pour en réclamer le paiement, la paix venait d’être signée, on n’avait rien à espérer ni à craindre de la Suède; on répondit que la guerre d’Italie, à laquelle la république avait contribué d’une manière si onéreusepourelle, avait eu cet effet de faciliter les conquêtes de Gus-tave-Adolphe en Allemagne, que par conséquent les deux puissances étaient quittes respectivement; que le gouvernement vénitien avait fait ses dispositions pour le paiement; mais que, la paix avec les princes delà maison d’Autriche étant signée, il ne pouvait plus avec honneur, fournir un subside à leurs ennemis; que d’ailleurs la république avait fait d’immenses sacrifices, éprouvé de grands malheurs, et que si les circonstances rallumaient de nouvelles hostilités, elle serait empressée de prouver à sa majesté suédoise l’intérêt qu’elle prenait à ses prospérités et à sa gloire. Cette réponse ne pouvait satisfaire le ministre de Gustave-Adolphe; il allégua les engagements contractés, reprocha à la république son manque de foi, fit des railleries assez piquantes sur la peur qu’on avait des Autrichiens, et se permit des expressions qui ne pouvaient appartenir qu’à une éloquence un peu gothique, che sentivano il gotico. Déconcerté par le Qegme vénitien, le ministre suédois appela à son secours le comte d’Avaux, alors ambassadeur de France; celui-ci insista fortement pour que la république payât le subside promis; mais il obtint, pour toute raison, qu’il y avait prescription- On laissa cet ambassadeur s’étonner d’un« jurisprudence si nouvelle, et l’autre jeter les hauts cris; le Suédois fut obligé de partir avec cette réponse. La république et le pape avaient fait une ligue pour se garantir mutuellement leurs États: comme on ne s’était pas garanti les usurpations, les Vénitiens se virent sur le point de se brouiller avec le sainl-siége, au sujet du duché de Castro, fief de l’É-glise, que le duc de Parme possédait, et que le pape voulut lui enlever , pour le donner à la famille Bar-berini. Cette guerrç, qui ne présente point d’événements dignes d’être recueillis par l’histoire, se termina d’une manière favorable pour le duc, à qui les Véniliens avaient fourni des secours. IX. Tels furent les événements militaires et politiques qui remplirent l’intervalle des années 1618 à 1644. Je suis obligé de revenir sur mes pas, pour faire mention de quelques particularités relatives à l’administration intérieure de la république. Nous avons un monument contemporain, qui fait connaître quels étaient ses revenus à cette époque; c’est un mémoire que le marquis de Redemar, de retour de son ambassade de Venise, adressa au roi d’Espagne. Il y évalue les-recettes à 3,889,196 sequins, et les dépenses à 2,898,590. Il en résulterait que la république aurait eu annuellement un excédant de recettes de près d’un million de sequins; mais il faut considérer que ce calcul ne supposait point de circonstances extraordinaires, et il en survenait fréquemment. S’il fallait en croire le marquis de Redemar, les finances, administrées d’ailleurs avec beaucoup d’ordre et d’intelligence, ne l’auraient pas toujours été avec autant de fidélité. line institution avait été imaginée depuis longtemps, pour remédier aux embarras des finances. C’était une caisse spéciale, inviolable, dans laquelle, depuis plusieurs siècles, on versait le produit de certains cens, qui s’élevait à près de cent mille ducats. Presque jamais on n’y avait touché. En 1585, il s’y trouvait deux millions cinq cent mille ducats.. Le marquis de Bedemar, qui écrivait en 1619, croyait qu’à celte époque, ce trésor de réserve pouvait s’élever à trois millions de sequins. Un autre ambassadeur évaluait à huit millions de ducats ce qu’on en avait tiré pour la guerre du Frioul et des Uscoques, cl disait qu’il en restait encore cinq ou six. Le ministre espagnol donne le dénombrement de la population de Venise à cette époque. Celte capitale contenait alors, selon lui, cent sept mille trois cent cinquante deux personnes, dont il évalue la consommation annuelle à six cent cinquante-six mille neuf cent soixante-dix mesures (staia) de farine ; c’était par conséquent à peu près six mesures par tète. Suivant le ministre de France qui résidait à Venise dans le même temps, cette population se serait élevée à cent soixante-seize mille âmes, parmi lesquelles, dit-il, quarante mille vivent entre quatre