290 HISTOIRE DE VENISE. cos. Il y avait constamment dans l’arsenal quelques galères prêles à mettre à la voile, et qui portaient sur leur poupe ces lettres C. D. X., qui annonçaient qu’elles étaient aux ordres du conseil. Quant à scs attributions, d’après les dernières lois qui les avaient réglées, elles comprenaient toutes les affaires qui intéressaient la sûreté de PÉtat ; toutes les accusations criminelles, dans lesquelles étaient impliqués des patriciens, des ecclésiastiques, ou des secrétaires de la chancellerie ducale; Tous les délits de quelque importance, commis hors de l’enceinte de Venise et des lagunes ; Tous les délits commis sur les barques; Les offenses faites à des masques ; Les affaires des théâtres; Celles des fondations de charité; Celles des forêts et des mines dans certains cas; L’appel des sentences contre les blasphémateurs; La police de la librairie. Souvent ils descendaient à des détails bien moins importants. Par exemple, on trouva, en 1668, que l’usage des perruques était un abus scandaleux, et le conseil des Dix en confia la répression à la plus terrible des magistratures, aux inquisiteurs d’État, qui pouvaient appliquer aux délinquants la peine qu’ils jugeraient convenable. Il y a sans doute quelque chose d’étrange dans ce mélange d’attributions si diverses, où des détails de simple administration se trouvent confiés à l.a même autorité que la répression des actes susceptibles de compromettre l’existence de la société. Cependant on peut se rendre raison de la disposition qui plaçait dans les attributions de ce sévère tribunal les délits commis sur des barques, et la police des théâtres. Il suffit de savoir que les théâtres et les canaux étaient des lieux privilégiés. Le gouvernement voulait qu’on y jouît d’une entière sécurité. La justice elle-même s’abstenait d’y poursuivre les criminels ; mais aussi la moindre atteinte ñ la tranquillité publique y était-ellepunie avec une extrême rigueur, et le maintien de celte tranquillité exigeait de la part de la police une surveillance continuelle. L’existence d’un tribunal qui n’était assujetti à aucunes règles, était sans doute une chose fort commode pour l’autorilé. Par exemple, au commencement du seizième siècle, on voulut réaliser un grand projet qui consistait à détourner tousles fleuves qui déchargeaient leurs eaux dans les lagunes. L’exécution de ce plan éprouvait beaucoup d’obstacles de la part des particuliers qui possédaient les embouchures des fleuves, ou quelques îles dans les lagunes. La surintendance des travaux fut confiée au conseil des Dix, et ce conseil prétendant que les propriétés de celle nature n’avaient pu être dans l’origine que des concessions de l’Élat, les confisca toutes sans distinction. On ne voit pas ce que la noblesse gagnait à être justiciable de ce conseil, plutôt que de la quaranlie, tribunal régulier, composé de membres de l’ordre équestre, et choisi par cet ordre lui-même ; aussi n’était-ce que pour intimider les p^riciens, qu’on les avait soumis à celte juridiction redoutable. Cependant elle avait des formes, une jurisprudence, et, malgré sa sévérité, elle ne laissait pas l’innocent absolument sans espoir, et le faible sans garantie. Quand ce conseil recevait une dénonciation, un de ses trois présidents recueillait les charges, entendait les témoins, faisait arrèler le prévenu, l’inlerrogeait, et faisait écrire scs réponses. Celle information laite, il en rendait compte aux deux autres chefs, et tous trois délibéraient, pour savoir si l’affaire serait portée au conseil des Dix. Dans le cas de la négative, l’accusé était élargi; dans le cas de l’affirmative, les trois présidents devenaient scs accusateurs, sans cesser d’être ses juges. Le prévenu n’avait ni le secours d’un défenseur, ni la consolation de voir ses parents, ses amis. Il n’était jamais confronté avec les témoins ; et, s'il était condamné, les juges pouvaient le faire pendre avec un voile sur la tête, ou le faire noyer dans un canal, ou le faire étrangler dans la prison, selon qu’ils jugeaient à propos de permettre ou d’empêcher la publicité de l’affaire. Ce qui distinguait surtout la jurisprudence de ce tribunal, c’était son inflexibilité ; et, comme les délits qu’il avait à punir étaient plus fréquents dans la classe élevée que dans la classe inférieure, ce système de sévérité avait établi parmi le peuple I celte opinion, que le rang des coupables ne les sauvait jamais. En 1825, Dona Dalegge, étant avogador, crut pouvoir s’entretenir avec quelques citadins, de certaines mesures qui avaient été arrêtées pour se procurer des fonds que nécessitaient les dépenses de la guerre. Les décemvirs prononcèrent contre lui l’exclusion de tous les conseils, pendant deux ans ; il voulut représenter qu’il avait parlé sans mauvaise intention, que les lois ne défendaient pas de s’entretenir sur ces matières avec des nationaux, qu’il avait été condamné sans forme de procès, sans avoir été entendu : il lui fut défendu de parler, même de la cause de sa condamnation, sous peine d’encourir l’indignation du tribunal. En 1452, trente patriciens, à la tête desquels était Marin Cicogna, se coalisent pour faire tourner les élections en faveur des nobles et de leur parti ; ils sont condamnés au bannissement. En 1476, quatre autres subissent la même peine, pour avoirvoulu influer surladistribulion des places.