LIVRE XXVI. éprouvait tant de difficultés, qu’on fut obligé do prendre des mesures très-sévères contre les débiteurs. On tirait au sort vingt-cinq noms parmi les contribuables en retard, et ceux dont les noms étaient sortis se voyaient privés de la liberté et de leurs biens, qui étaient mis à l’encan, Pour faciliter les paiements, on permit de s’acquitter d’un décime en effets d’argent ou d’or. Le conseil des Dix, qui ne perdait pas une occasion de s’immiscer dans toutes les affaires, imagina de mettre en vente la permission que l’on accordait quelquefois à de jeunes patriciens d’assister aux séances du grand-conseil, avant d’avoir l’âge de vingt-cinq ans prescrit par les lois. Mais toutes ces ressources étant encore insuffisantes, on ouvrit un emprunt viager dont la somme était illimitée, et dont l’intérêt fut porté à quatorze pour cent. X. Au moyen de tous ces sacrifices, on arma une puissante flotte, qui fit voile vers Corfou, où était le rendez vous de toutes les forces de la confédération. Les Turcs avaient déjà commencé par l’occupation de plusieurs petites places des Vénitiens dans l’Ar-chipel : ils menaçaient Candie, assiégeaient Naples (le Romanie et Malvoisie dans la Morée , et faisaient des courses dans la Dalmatie. Les galères du pape ne se firent point attendre, parce que c’était la république qui les avait équipées; le pape avait du moins eu la délicatesse d’en donner le commandement à un Vénitien, à Marc Grimani, patriarche d’Aquilée. Mais la flotte impériale ne paraissait point. On annonçait trente galères qui devaient venir de Messine, cinquante qui étaient en armement dans différents ports de l’Espagne, et enfin trente-deux que Doria devait amener de Barcelone. Pendant que les Vénitiens se plaignaient de ces retards, le gouvernement espagnol leur faisait des difficultés, même pour leur laisser tirer de la Pouille les grains dont leur armée avait besoin. . Enfin la première de ces escadres, si impatiemment attendues, parut. Les Vénitiens voulaient sur-le-champ commencer les opérations. Les alliés s’y opposèrent, prétendant qu’on ne devait rien entreprendre avant l’arrivée du généralissime, et la réunion de toute la flotte. On apprit que cinquante autres galères étaient Jrrivees en Sicile; mais elles y restaient, pour attendre des troupes qui devaient partir d’Espagne, linfin Doria entra dans Messine, s’y arrêta quelque temps, et ce ne fut que le 7 septembre qu’il parut •lans la rade de Corfou, c’est-à-dire six mois plus tard que l’èpoque convenue, et longtemps après que les Ottomans avaient commencé les hostilités. Dans cet intervalle, le pape avait entamé une négociation, pour convertir en traité de paix la trêve qui existait entre l’empereur et François Ier. Il avait attiré ces deux monarques dans les environs de Nice, où il s’était rendu lui-même, sans pouvoir parvenir à les décider à une entrevue ; mais il réussit, à force d’instances, à leur faire signer une trêve de dix ans. C’eût été beaucoup, s’il eût été possible d’y compter. Les Turcs, comme je l’ai dit, attaquaient de toutes parts les colonies de la république. Barberousse jeta sur les côtes de Candie une troupe de pillards, qui se mit à ravager les campagnes. Les milices de L’Ile en'firent justice, surprirent ces brigands, eu tuèrent un grand nombre, et forcèrent le reste de se rembarquer. Barberousse se porta un peu plus loin, s’empara de la petite place de Settia, qui était sans défense, et la mit en cendres. Du côté de la Dalmatie, les Turcs étaient tellement en forces, que l’on proposa de leur abandonner tout le pays, et de concentrer toutes les troupes vénitiennes dans Zara, pour s’assurer au moins la conservation de cette capitale. Avant d’en venir à cette extrémité, le gouvernement voulut tenter de nobles efforts pour la défense de celte province. Quinze cents chevaux et douze mille hommes d’infanterie y furent successivement envoyés, sous la conduite d’un grand nombre de patriciens, dont l’éloquence patriotique du vieux doge André Gritti ranima le zèle. « Allez, leur disait-il, partager les « périls de vos sujets, si vous voulez qu’ils vous re-u connaissent pour leurs protecteurs. » Ces renforts, et une expédition que les Ottomans entreprirent vers la Hongrie, délivrèrent la Dalma-tie de la présence de l’ennemi. Ce fut ainsi que se passèrent les premiers mois de Ta campagne. La flotte combinée se tenant immobile dans la rade de Corfou, celle des Turcs était venue se placer dans le golfe de Larta, qui est entre cette île et celle de Sainte-Maure. L’entrée de ce golfe, très-resserrée, est défendue par un château élevé sur une éminence, c’est le fameux promontoire d’Aclium. Les alliés formèrent le dessein de se rendre maîtres de ce château. Ils quittèrent leur station, le patriarche Grimani à la tète de l’avant-garde, Doria commandant le corps de bataille, et le général des Vénitiens l’arrière-garde. Ils arrivaient à la hauteur de Sainte-Maure, lorsqu’ils aperçurent la flotte ennemie, qui était sortie du golle de Larta, et qui les suivait; soudain on revira de bord, et l’arrière-garde, revenant sur ses pas, courut la première à la rencontre de l’ennemi. Quoique les deux flottes fussent à peu près d’égale force, Barberousse jugea à propos de refuser le combat, et de rentrer dans le golle.Ses vaisseaux ne défilaient que lentement; Ca-pclio, qui les avait atteints, les canonnait vivement,