\l-i HISTOIRE DE VENISE. ne dût pas se croire contente de sa destinée. Tels furent les effets d’une bonne administration, qui compensait les vices qu’il pouvait y avoir dans le gouvernement. Tant que les prospérités multiplièrent les jouissances, les sujets de Venise n’eurent à envier d’autres peuples que la liberté; or la liberté, dont quelques villes d’Italie pouvaient seules se vanter d’avoir joui momentanément, avait été achetée par des torrents de sang et perdue par des discordes. Elle n’avait plus d’asile que dans les vallées des Alpes; mais les Vénitiens n'auraient pas voulu l’acheter par la pauvreté, ce qui prouve qu’ils n’en étaient pas dignes. Si l’ambition des conquêtes égara plus d’une fois le gouvernement, l’amour des richesses corrompit l’esprit public. IV. Des causes indépendantes de la prudence humaine firent déchoir Venise du haut rang où elle s'était placée. Un nouveau monde découvert, une route nouvelle frayée pour aller aux Indes, les progrès de l’art des constructions navales, firent per- i dre aux Vénitiens leur supériorité dans la marine I et dans le commerce. Un peuple vint de l'Asie, qui occupa toutes les eûtes orientales de la Méditerranée. L’Autriche devint une puissance immense, et dès-lors Venise se trouva dans des rapports tout différents avec les aulres nations. De ces événements, elle ne pouvait en empêcher aucun, et il y en a qu’il lui était môme impossible de prévoir; mais elle pouvait se dispenser d’appeler les Français en Italie, et elle devait prévoir que c’était y appeler en même temps les puissances rivales de celle-ci, que l’une ou l’autre finirait par rester maîtresse de ce champ de bataille, et par donner des lois à la Péninsule. Après avoir fait cette faute, elle pouvait encore adopter un système de politique plus courageux, c’est-à-dire tendre à réunir en faisceau toutes les forces de l’Italie, et à se mettre à la tête de celte fédération : c’est ce qu’elle ne fit pas. Enfin elle pouvait, dans le choc de la maison de Bourbon et de la maison d’Autriche, faire rechercher son alliance, faute de pouvoir faire respecter sa neutralité, et, en se déterminant, comme elle le fit, à rester spectatrice de leurs combats, elle devait au moins profiter de cet intervalle de paix, qu’elle achetait aux dépens de sa considération, pour réparer scs forces, organiser ses armées, d'après le système militaire de l’Europe moderne, accroître son trésor et se mettre en droit de se faire écouter dans ces congrès où l’on admettait à peine ses plénipotentiaires. Je mets sans doute au nombre des beaux exemples donnés par cc gouvernement son attachement à la paix; mais il laissa trop voir qu’il avait moins d’amour pour la paix que pour les richesses, cl que son horreur pour la guerre n’était que la crainte de sortir d’urie aveugle indolence, et de troubler l’opulente mollesse de ses nobles et de ses citadins. En adoptant ce système, Venise devait pourvoir à sa sûreté. Au lieu de prendre ces précautions, qui auraient exigé des sacrifices, de l’énergie, de l’esprit national, elle se résigna à n’être plus qu’une puissance du second ordre, spectatrice de la lutte des grands Etats, et qui pouvait à chaque instant en devenir la victime. Elle se confia de sa sûreté à leur jalousie, et n’eut plus pour sauvegarde que de vaines maximes de droit public. Après avoir abdiqué cette partie de ses fonctions qui lui imposaient des devoirs au dehors, le gouvernement se renferma dans les soins de son organisation intérieure, multiplia les précautions, pour prévenir les troubles domestiques, et pour paraître, aux yeux de l’étranger, grave et non pas inerte, circonspect et non pas timide. Au dehors l’activité de sa diplomatie, au dedans la vigilance de sa police, le servirent assez bien, pour qu’il conservât longtemps sa réputation de haute sagesse cl l’apparence d’une autorité inébranlable. Cette profonde illusion qu’il entretenait chez les autres, il la partagea lui-même. S’il ne se crut pas toujours sûr du respect des étrangers ou de son crédit, du moins il ne douta pas de la docilité de ses sujets; et il finit par croire que sa diplomatie et sa police étaient des moyens de puissance. Il est évident que ces prestiges devaient se dissiper au moins chez l’étranger, à mesure que les circonstances mettaient la longanimité des Vénitiens à de nouvelles épreuves, à mesure que les autres peuples acquéraient cette stabilité de gouvernement dont Venise avait joui avant eux, à mesure qu’ils faisaient des progrès vers la richesse, vers la puissance, vers le perfectionnement de l’organisation sociale. La république révélait l’indigence de son trésor, en laissant s’arriérer de cinq, six, sept ans le paiement des intérêts de sa dette, déjà réduits à deux pour cent. Le gouvernement de Venise ne devait plus avoir ni puissance au dehors, ni sûreté au dedans, du moment que scs peuples, en comparant leur sort à celui des aulres, pourraient croire qu’ils avaient quelque chose à leur envier. C’est la leçon qu’on peut tirer de cette triste et dernière époque de l’histoire de Venise. V. Tous les traités de paix avec la Porte étaient suivis de longues discussions. II y avait à régler de nouvelles limites; les commissaires turcs déconcertaient la gravité vénitienne, par leurs minutieuses et interminables difficultés, et comme ils y mêlaient toujours des menaces, on pouvait craindre à cha-