LIVRE XXXVI. 207 comba à la famine; l’Alsace fut envahie; Toulon ' fut livré aux ennemis ; les Espagnols étaient dans Villefranche cl dans Bellegarde; six cent mille hommes suffisaient à peine à retarder la marche des armées étrangères, qui, heureusement, ne pouvaient avoir, au milieu de tant d'ambitions jalouses, ni une direction combinée, ni un intérêt commun. Plusieurs fois, dans le cours de celle année fatale, les puissances coalisées pressèrent la république vénitienne de sortir de son imprudente neutralité. Plusieurs fois les divers gouvernements d’Italie renouvelèrent la proposition de former au moins une ligue, pour la sûreté de la Péninsule. Le roi de Sar-daigne surtout, qui avait à en défendre l’entrée, représentait vivement que le salut de tous était intéressé au succès de ses efforts, et que, par conséquent, toutes les puissances italiennes lui devaient d’y concourir. On a dit que le gouvernement de Venise se détermina à lui envoyer un secours de cinq cent mille ducats; mais ce subside fut donné avec un si profond mystère,.qu’ori ne pouvait y voir qu’une nouvelle preuve de la timidité et de l’irrésolution de la république. Telle était l’obstination du sénat dans son système d’inaction, qu’on ne put compter que trois voix pour accueillir les propositions du cabinet de Naplcs, celles de François l’esaro, d’un autre patricien de son nom, et d’un Zcno. XVI. Le gouvernement français, qui, au milieu de tant de désastres, avait bien aussi des sujets de terreur, publia à cette époque une déclaration de ses principes. Le chargé d’affaires de France, en la notifiant au gouvernement vénitien, le 6 juin 1793, proclama la résolution du peuple français, de ne s’ingérer en aucune manière dans le gouvernement des autres Etats, mais, en même temps, de s’ensevelir sous scs propres ruines, plutôt que de souffrir qu’aucune puissance étrangère vint s'immiscer dans le régime intérieur de la république, ou prendre aucune influence sur la constitution qu’il voulait se donner. «Les nations, disait ce résident, ont de tout tempsjoui du droit d’organiser leur gouvernement, comme elles l’ont jugé convenable pour leur bonheur. Les exceptions à ce principe sacré du droit des gens, ne prouvent que l’abus de la force, et toute autorité qui en a été le résultat n’est que de la tyrannie. " La nation française, également exemple de la pusillanimité qui cède à des volontés étrangères, et de l’ambition de gouverner au delà des limites de son territoire, a consacré solennellement ce principe, aussi choraux nations qu’aux familles, de ne point s’ingérer dans les actions d’autrui, tant qu’elles ne peuvent influer ni sur leur bonheur, ni sur leur sûreté, ni sur leur tranquillité. « La nation française a pris les armes pour soutenir la souveraineté et l’unité de la république; elle les déposera, quand ses ennemis auront reconnu scs droits imprescriptibles, qu’elle est résolue de défendre jusqu’à la dernière extrémité. Ce serait en vain qu’on lui proposerait aujourd’hui une forme de gouvernement, qu’elle avait adoptée à la vérité, mais que l’expérience lui a fait rejeter. Sa volonté sur ce point n'a d’autres limites que celles de son énergie. Elle se détermine d'après scs intérêts, ses besoins ; et tant que sa volonté n’offense pas les droits de ses voisins, elle n’en doit compte qu’à elle-même. « Que deviendrait la tranquillité de l'Europe, si quelques puissances ambitieuses pouvaient changer à leur gré l’organisation intérieure des nations voi sines? En soutenant ses droits, la nation française défend aujourd’hui ceux de tous les peuples. Ils invoqueront son exemple, quand l’élrangcr voudra se rendre arbitre de leur destinée; quand, à leur tour, ils auront à lutter contre les principes d’usur-palion qu’on a voulu nous opposer. « La reconnaissance de la république française et de sa souveraineté est désormais une condition essentielle de loué les traités qui pourront être faits pour le repos de l’Europe, si cruellement troublée par l’ambition des princes qui la gouvernent. Il importe qu’ils soient profondément pénétrés de celle vérité, comme ils doivent l’être de l’impuissance des moyens qu'ils ont employés pour lui imposer des lois. » En même temps qu’elle proclamait de telles maxi-_.mes, la république française ne cessait de représenter au sénat, que la France était la seule conservatrice de l’indépendance de l’Italie; que l’Autriche, dont les armées traversaient sans cesse le territoire vénitien, pour inonder la Péninsule, était un ennemi naturel, dont il était moins dangereux de braver les menaces que d'accroilre l’influence. C’était proposer au sénat une alliance avec la république française. Cette proposition suffisait pour le faire trembler. Il ne savait que trop ce qu’il avait à craindre de la puissance autrichienne, mais il n’oubliait pas tout ce que l’amitié de la république française pouvait avoir de périlleux. C’était déjà avoir donné un assez grand scandale à l’Europe coalisée, que d’avoir admis un représentant de la France républicaine; le gouvernement vénitien, enhardi par les événements de la guerre, chercha l’occasion de le réparer. On lui avait demandé s’il recevrait un envoyé revêtu du caractère de ministre, et on lui avait en même temps exprimé le désii et l’espérance de voir