LIVRE XXXVI. 213 nations, et les caresses perfides, les menaces téméraires delà maison d’Autriche, de l’Angleterre, ses ennemies naturelles, dont l’ambition cl la cupidité seront toujours dangereuses pour la république de Venise, comme pour tous les Etats de l’Italie. La nation française, au contraire, contente du territoire fertile, immense, que son courage et son énergie ont su conserver, riche des productions de son sol et de son industrie, n’a rien à envier aux autres peuples de l’Europe. Sa politique ultérieure ne saurait être suspecte. Dans scs alliances avec ses voisins, la France peut plutôt donner que recevoir. Elle a appris au monde entier qu’elle ne craint personne; elle déclare solennellement que, dans ses rapports avec les autres nations, elle ne sera jamais dirigée que par les principes du droit des gens. « Ferme, invariable dans ces principes, le gouvernement français m’envoie vers votre sérénité et vos excellences avec la mission de les assurer du désir qu’il éprouve de conserver pour la nation vénitienne ces sentiments d’estime, de confiance qu’il lui a témoignés dans tous les temps; mais il a droit d’exiger cette franchise, cette loyauté dont il donne l’exemple. u II ne s’en tiendra plus à des paroles. Il demande que l’illustre sénat de Venise manifeste librement sa neutralité, et la résolution où il est de la faire respecter; qu’ayant reconnu la république française, il reçoive ses ministres avec les égards dus à une grande nation ; que les Français soient accueillis dans les États de la république comme amis ; qu’ils y jouissent de leur liberté, de leurs propriétés, de leur industrie, sous la protection immédiate des lois, tant qu’ils ne donneront au gouvernement aucun sujet de plainte légitime. « Le peuple français, convaincu alors qu’il peut se fier sur l’amitié du sénat et de la nation vénitienne, leur jurera fraternité, et sera disposé constamment à rejeter toute mesure contraire aux égards que se doivent deux nations. Si, contre toute apparence, les ennemis de la France, jaloux de cet attachement réciproque, osaient troubler le repos ou le commerce des Vénitiens, l’illustre sénat pourrait compter sur le plus prompt développement de toutes les forces de la république française, pour la défense de leurs propriétés et le maintien de leur indépendance. Elle vient d’en agir ainsi envers la république de Gênes, indignement outragée par le blocus de son port, et par les menaces des Autrichiens et des l’iémontais. » Le gouvernement français n’avait pas tenu encore un pareil langage. Celui de Venise se trouvait avoir à répondre à des notes contradictoires. L’admission de l’envoyé de France était impossible à refuser, puisqu’elle avait été provoquée. Celle admission fut résolue à la pluralité de 162 suffrages sur 176. Après cette détermination, qui était pour lui un acte de courage, le sénat voulut prévenir les instances de la cour de Londres, en y portant des plaintes contre les formes impérieuses que le résident avait employées dans une démarche si insolite; et le cabinet britannique, voyant qu’il n’y avait plus moyen de revenir sur une affaire terminée, prit le parti de désavouer son agent. A peine le ministre de la nouvelle république cul-il élé admis dans cette ville que remplissaient les ennemis de la France, qu’il reçut des insinuations qui promettaient à sa patrie un secours faible, mais inespéré. Il y avait aux confins de l’Europe civilisée une nation belliqueuse, qui s’était vue le jouet de l’ambition des cours d’Aulriehe, de Prusse et de Sainl-Pétersbourg. La Pologne élait asservie, partagée, et plusieurs de ses généreux citoyens avaient mieux aimé renoncer à leur pays qu’à la liberté. Un grand nombre de nobles polonais s’étaient réfugiés à Venise. La fortune avait rassemblé dans la même ville et ces fugitifs qui déploraient l’invasion de leur patrie, et d’autres exilés qui provoquaient les armes de l’étranger contre la leur. Tous redemandaient la terre natale, tous voulaient la reconquérir avec ses anciennes institutions ; mais la conformité de leur malheur n’en faisait que mieux ressortir la différence de leurs passions et de leurs principes. Les uns, poursuivis par l’Autriche, la Prusse et la Russie, trouvaient à peine en Europe un asile, où on ne les recevait qu'avee timidité. Les autres, quoique favorisés par les vœux secrets do toutes les puissances, ne se voyaient pas accueillis avec une confiance entière, et furent bientôt réduits à errer d’amis en amis. Comme leurs compagnons d’infortune, les réfugiés polonais n’avaient sauvé que leurs armes; ils les offrirent secrètement au ministre de France. L’orgueil de leur noblesse ne s’effaroucha point d’une alliance avec une nation qui venait de proclamer la démocratie. Un lien commun les unissait, l’amour de l’indépendance. Cette offre, faite à celte époque, n’était pas sans générosité; les succès de la France n’étaient pas tels qu’ils assurassent les triomphes de sa cause. Les armées de la république n’avaient pas encore pénétré en Italie. Ainsi commença, d’abord par le dévouement de quelques braves officiers, et bientôt après par la formation de quelques faibles bataillons, cette fraternité d’armes entre deux nations généreuses, qui, pendant vingt ans, devaient combattre sous les mêmes drapeaux, et se montrer également fidèles l’une à l’autre dans le malheur et dans la prospérité. XXI. Ce fut vers la fin de l’année 1794 que le prince, frère de Louis XVI, et qui, après la mort