LIVRE XXXIII. céder Candie et de rendre la forteresse de Cüssa. Le gouvernement vénitien déclara au contraire, qu’on ne pouvait entamer une négociation que sur la base d’une restitution réciproque. Cette réponse fut portée au grand-visir par le baile, accompagné d’une députation des Vénitiens établis à Constanti-nople. Quand cette déclaration eut été expliquée au visir par le drogman de la république, il entra dans une telle fureur, qu’il lit étrangler cet interprète, ordonna qu’on chargeâtde fers le baile et tous ceux qui l’accompagnaient, et les fit conduire, à travers les flots d’une populace insolente, dans le château des Sept-ïours, où on les enferma dans des cachots. Ces outrages prouvent moins le mépris des Turcs pour la nation vénitienne, que leur ignorance du droit des gens. Dix ans plus tard, ils traitèrent à peu près de la même manière un ambassadeur de Louis XIV, quoiqu’ils ne fussent point en guerre avec la France; et, quand le roi lit demander les motifs de cette insulte, on la redoubla, au lieu de la réparer. Le plus puissant monarque de l’Europe dévora son ressentiment : les Vénitiens se vengèrent par une victoire. XIII. Leur amiral Jacques Riva, tenant, pendant tout l’hiver, la pénible station des Dardanelles, avait bloqué le détroit avec vingt galères. Il venait de détacher une division pour aller renouveler sa provision d’eau sur les côtes voisines, où l’on n’obtenait rien qu’à main armée, lorsqu’il vit la flotte ottomane, forte de quatre-vingt-trois bâtiments, se déployer sur la mer de Marmara et s’engager dans le détroit. Trop faible, dans ce moment, pour lui fermer le passage, il s’acharna à la suivre, en la canonnant vivement; la plupart de scs galères détachées vinrent le joindre, et tout l’Archipel vit quatre-vingts vaisseaux turcs fuyant, pour éviter le combat, devant une vingtaine de galères vénitiennes. Content d’être sorti du détroit, sans avoir été dans l’obligation d’en forcer le passage, le ca-pitan pacha longea la côte de l’Asie mineure, et se glissant entre l’iledc Lesbos et le continent, chercha un asile dans la rade de Foschia, qui est l’ancienne Pliocée, à l’embouchure de l’Ilémus, un peu au nord de Smyrne. 11 avait intérêt à se rapprocherde cette dernière ville, parce qu’une flotte auxiliaire l’y attendait : elle était composée de bâtiments bar-baresques et de vaisseaux chrétiens que les Turcs avaient arrêtés et armés dans toutes les échelles du Levant. Mais à peine étaient-ils arrivés sous le canon de Foschia, que les Vénitiens paraissent à l’entrée de la rade : ils s’y engagent, malgré le feu des batteries de terre et des vaisseaux ; pénètrent jusqu’au mouillage des Turcs, trop resserrés pour manœu- vrer; les forcent de se jeter les uns sur les autres; repoussent les bâtiments qui osent s’approcher pour tenter l’abordage ; les écrasent de leurs boulets, en prennent quelques-uns; mettent le feu à d’autres, et s’éloignent, pour n’ètre pas enveloppés dans l’incendie. Cette bataille coûta, dit-on, aux Turcs sept mille morts etquinze galères; et, s’il faut en croire les historiens vénitiens, la flotte de la république n’y perdit que quinze hommes. C’est probablement une exagération; mais cette action n’en était pas moins très-audacieuse, et constatait la supériorité de la marine vénitienne (1619). On la célébra à Venise par des réjouissances dans lesquelles le peuple manifesta son ressentiment contre la France, qu’il soupçonnait de voir sans regret cette guerre allumée entre les Turcs et la république; plusieurs Français furent poursuivis, maltraités, tués dans les rues de Venise; des placards injurieux furent affichés ; le peuple brilla l’effigie d’un Turc, d’un Juif et d’un Français. La maison de l’ambassadeur fut même menacée. Cette victoire de Foschia occasionna le changement du grand-visir et radoucissement de la captivité du bailé de Venise, qui fut transféré desSept-Tours dans son palais, où on continua de le garder à vue. Mais Riva fit la faute de ne point bloquer les Turcs dans Foschia. Ils en sortirent, et, réunis à l’escadre barbaresque dans le port de Smyrne, passèrent à la vue de Candie, en allant débarquer à la Canée les troupes que le pacha attendait, pour reprendre les opérations du siège de la capitale. Pendant tout le reste de la belle saison, ce siège fut poussé très-vivement; cependant les assiégés faisaient acheter bien cher à l’armée assaillante le peu de terrain qu’elle gagnait. Un même bastion fut pris et repris jusqu’à quatre fois. Les ouvrages étaient aussitôt ruinés qu’ébauchés, et recommencés que détruits. Les Turcs, les Vénitiens, creusaient la terre les uns sous les autres. Souvent au milieu d’un combat acharné, l’explosion d’une mine faisait sauter l’ouvrage qu’on se disputait, et engloutissait les combattants des deux partis : la ville était couverte de feux. Ce fut particulièrement pendant cette campagne de 1649, que les assiégeants y firent pleuvoir une prodigieuse quantité de bombes. Cetle guerre si active, les Vénitiens la soutenaient au milieu de toutes les privations; et les généraux turcs avec des troupes mutinées, qui, à chaque retard de leur paie, déclaraient, à graudscris, qu’elles voulaient se rembarquer. Comme il est bien difficile qu’une flotte tienne constamment une même station, le blocus du port de la Canée ne put être tellement resserré que l’armée turque ne trouvât jour pour en sortir et pour aller hiverner à Constantinople. Les amiraux veni-