202 HISTOIRE DE VENISE. terre et la Russie travaillèrent sans relâche à vaincre la répugnance de Léopold. Le prince de Kaunitz, son premier ministre, déclarait encore, en février 1793, au résident de Venise, « que l’empereur était déterminé à faire tout ce qui serait possible pour éviter la guerre, après celle qui venait de peser si durement sur ses sujets. » Ces dispositions ne répondaient pas à l’impatience des deux cours qui voulaient tout précipiter. Malheureusement l’empereur Léopold mourut au commencement de mars 1792, après trois jours de maladie. Aussitôt arrivèrent à tous les gouvernements, des notes, que l’on appela un moniloirc politique, où la cour de Saint-Pétersbourg, s’emparant de la direction générale de la diplomalie européenne, cherchait à triompher de toutes les irrésolutions, prodiguait les instances, les démonstrations d’intérêt, les offres de secours, et même les menaces. Elle prenait le soin de déterminer ce que chacun avait à faire, et de fixer le contingent auquel on devait s’imposer. Après avoir réparti les sacrifices, elle distribuait les récompenses. On eut dit que la conquête de la France était offerte par souscription. La guerre allait éclater : il restait à prévoir quel en serait le caractère. Les vieillards de cette génération avaient été élevés dans le respect d’un acte célèbre, qui, en rendant le repos à l’Allemagne, paraissait avoir consacré certains principes de droit public. Un système s’était accrédité, qui, en balançant les forces des diverses puissances, devait les tenir toutes immobiles ; et la théorie de ce système était surtout prônée par les Etats faibles, dont il était la sauvegarde. Une autre circonstance, qui avait plus de réalité, rassurait contre l’ambition des puissances prépondérantes : on les voyait d’autant plus obérées, qu’elles étaient plus entreprenantes; et le désordre général de leurs finances, accru tous les jours par les vices de leur administration, la difficulté d’établir de nouveaux impôts, toujours plus grande, grâce à l'obstination de la classe privilégiée, et aux réclamations de celle qui ne l’était pas, faisaient croire à l’impossibilité de longues guerres. Celte impuissance des ambitieux, cet équilibre universel, inspiraient aux faibles une sécurité qui, comme on voit,n’était fondée que surles jalousies de leurs voisins. Mais ce sentiment dut faire place à la crainte, lorsqu’on vit, dans le nord de l’Allemagne, un prince guerrier donner pour unique base à sa monarchie nouvelle la puissance militaire; organiser ses forces, sans égard à la population, aux ressources de son pays; s’abandonner à la fortune du soin de sa conservation, et se mettre dans la nécessité de conquérir. Il envahit une province qui était à sa convenance. Bientôt après, les grandes puissan- ces, qui avaient combattu entre elles, s’accordèrent pour se partager un royaume voisin, sans déclaration de guerre. Dès-lors, on n’eut plus besoin de prétexte pour s’agrandir ; il est vrai que le nom de conquête se trouva trop noble pour ces sortes d’acquisitions : il n’y eut plus ni équilibre dans le fait, ni principes dans la théorie. On dut comprendre que ces mêmes puissances, en se coalisant contre la France, ne changeraient ni de vues, ni de maximes. X. Quant aux Vénitiens, au milieu de l’agitation générale dont l’Europe était menacée , ils prétendaient conserver les avantages de la neutralité, sans imposer silence à leurs passions. Les plaintes des négociants et des consuls français contre la partialité, les vexations, les avanies qu’ils avaient à supporter, se renouvelaient tous lesjours; et on ne pouvait espérer ni des réparations, ni une conduite plus équitable. Une gabarc vénitienne, qui croisait à la vue de la Corse, reçut quelques Français fugitifs de file. Jus-que-là, on ne pouvait raisonnablement voir un grief politique dans un acte d'humanité ; mais elle donna la chasse aux gardes nationales, et cela à l’entrée du port, ce qui devenait une insulte. Lorsque l’assemblée qui gouvernail la France fit notifier aux gouvernements étrangers le dépari du roi pour Varennes, et le décret qu’elle avait pris à cette occasion, pour déclarer que cet événement ne changeait rien aux dispositions pacifiques de la France, le gouvernement de Venise , en réponse à cette communication, renvoya à M. de Durfort, alors ministre de France, le décret et la noie, parce que cclte pièce n'était pas au noen du roi. Quelque temps après, ce même ministre eut à notifier, au nom du roi, l’acceptation de la constitution; cette fois, on éluda la réponse, en disant que l’ambassadeur de la république à Paris étail chargé de la faire au roi lui-même. Ces actes caractérisaient, sinon un système de conduite, du moins une opinion établie; mais veut-on uu Irail de pusillanimité? il faul descendre à des détails. Lorsque les lois nouvelles eurent divisé le clergé de France, exclu les uns du service de l’autel, et fait douter de la légitimité des autres, le ministre de Venise, résidant à Paris, ne voulant pas reconnaître le clergé qu'on appelait constitutionnel, demanda à son gouvernement s’il trouverait bon qu'il fil célébrer l’office divin dans un oratoire particulier. Par une première réponse, on l'autorisa à faire àcelégard comme les autres membres du corps diplomatique ; mais on ne tarda pas à se repentir de lui avoir donné celte lalilude, et par une nouvelle lettre il lui fut recommandé de