LIVRE XXXII. 11Ï5 Quelques années après, lorsque les habitants de la vallée se soulevèrent, à l’instigation des Espagnols, le sénat se hâta d’avertir les ligues de la véritable cause de cette révolte, les exhorta à employer la clémence, pour ramener leurs sujets dans le devoir, et la vigueur, pour repousser les instigateurs de l’insurrection. 11 réclama l’intervention des Suisses, et offrit des subsides. On se battit avec des succès divers; mais les gouverneurs de Milan et du Tyrol envoyaient successivement des renforts, qui entretenaient le feu de la guerre, et elle prit un tel caractère de violence, qu’une partie de la population de la Valteline se réfugia dans les Etats de Venise. La division éclata entre les trois petites républiques confédérées. Les Vénitiens sentaient bien qu’il était indispensable d’armer, pour dicter la paix. On commença par des démonstrations assez fastueuses ; trente galères étaient, disait-on, toutes prêtes dans l’arsenal; il s’agissait d'enrôler des volontaires pour les monter. Le capitaine-général, qui devait recevoir les engagements, vint s’asseoir au milieu de la place Saint-Marc, devant une table chargée de monnaie d’or et d’argent; on assurait qu'il y en avait pour plusieurs millions. Cette table était entourée d’une barrière formée par une chaîne d’or massif, que, suivant l’opinion populaire , cinquante hommes avaient peine à porter. Enfin on avait soin d’ajouter que la république possédait encore vingt millions de sequins dans son trésor de réserve. Cette ostentation de richesse prouvait que le gouvernement ne pensait pas sérieusement à entreprendre la guerre : il savait trop qu’un trésor est un secret, et se serait bien gardé de se mettre dans l’impossibilité de demander de nouvelles contributions à ses peuples, en étalant à leurs yeux une opulence que l'imagination grossissait encore. On n’avait pas oublié que, peu de temps auparavant, lorsqu’on avait voulu armer une escadre, pour l’opposer à la flotte napolitaine, on n’avait jamais pu trouver dans la ville deux mille hommes qui voulussent servir comme soldats dans cette expédition ; et que la résistance du peuple à ce projet de levée avait eu tous les caractères d’une sédition. Cette expérience conseillait sans doute d’essayer des moyens plus persuasifs, pour opérer un recrutement; mais en même temps, elle avertissait de leur inutilité. Aussi la ré- (1) Traité de la ligue du roy avec ta république de Venise et M. de Savoye, en febvrier 1623. (Manusc. de la Bibl. de Brienne, n“14.) On trouve dans les Memorie recondite de Villorio Siri, tom. V, le plan d'opérations, arrêté dansles conférences de Compiègne. Voyez aussi le Codex Ilallœ diplomalicus, de Lunig, tom. I, pars i, sect. 2, cap. 2, lxxvii. Cette guerre de la Valteline était fort désapprouvée par les Jésuites, qui publique était-elle bien éloignée de se commettre avec l’Espagne et avec l’Autriche, avant d’étre assurée de la coopération de la France. Celte couronne ne voulut d’abord que négocier; et, pendant cc temps-là, les Espagnols, sous prétexte de protéger la Valteline, achevèrent de l’envahir. 11. Pressés par les sollicitations de la France, ils promirent d’évacuer cette malheureuse province ; mais au lieu de tenir leur parole, ils attaquèrent les Grisons, les battirent, et entrèrent dans la ville de Coire, capitale du pays : là, ils imposèrent un traité, par lequel les Ligues-Grises renonçaient à la souveraineté de la Valteline, moyennant une indemnité de vingt-cinq mille écus. L’une des trois petites républiques entrait dans le domaine de l’Autriche, et les deux autres s’obligeaient à laisser toujours leurs passages ouverts aux troupes espagnoles et autrichiennes. Ces conditions, dictées par la force, furent violées; les Grisons se soulevèrent, chassèrent les étrangers, mais ne purent reconquérir la Valte-line. Les Autrichiens leur proposèrent une trêve, qu’ils acceptèrent; et, à la faveur de la sécurité qu'elle inspirait, les troupes allemandes revinrent en force, reconquirent le pays des Grisons, et ajoutèrent aux conditions auxquelles ce peuple s’était déjà soumis, l’obligation de souffrir une garnison étrangère dans sa capitale. Pour colorer cette odieuse usurpation, l’Autriche et l’Espagne affectaient un grand zèle pour le catholicisme, et proscrivaient, dans le pays, l’exercice de la religion protestante; cc qui n’était pas un moyen d’y amener la paix. 111. Il y avait près de deux ans que ce brigandage scandalisait l’Europe, lorsque enfin, grâce aux efforts de Jean Pesaro, ambassadeur de la république à Paris, la France, le duc de Savoie et la république de Venise se décidèrent, au commencement de 1G25, à se liguer (1), pour lever une armée de quarante-six mille hommes, dont la moitié devait être fournie par la France, afin d’obliger les Espagnols et les Autrichiens à évacuer la Valteline et le pays des Grisons. La cour d’Espagne, pour éviter d’y être forcée, proposa d’ouvrir une négociation, dans laquelle le pape serait médiateur, et offrit de lui remettre la Valteline en dépôt, ce qui fut accepté. Quand on en vint à discuter les conditions d’un dans cette affaire étaient les zélés auxiliaires des Espagnols. Lorsque Louis XII! accéda à la ligue des Vénitiens et du duc de Savoie, ils firent paraître deux libelles anonymes intitulés, i’un Mysteria politica, l’autre Admonltio ad Ludovicum XJII. Ces deux écrits furent condamnés par le Châtelet, censurés par la Faculté de théologie, par l’Uni-versité de Paris, et par l’Assemblée du clergé.