274 IIIST01UE DE VENISE. et pour l’intéresser à leur cause, ils protestèrent qu’ils s’étaient constamment opposés au parti qui recherchait la protection des empereurs d’Orient, et déclarèrent que le seul vœu de Venise était d’ètre reconnue pour vassale de l’empire d’Occidcnt. Il parait que cette vassalité avait été avouée à quelque époque plus ancienne, car il en restait quelques traces. La république était dans l’usage d’envoyer annuellement à l’empereur d’Occident un manteau de drap d’or. Othon III abolit cette redevance, qui, dans la suite, fut réclamée par Othon V, l’un de ses successeurs. Ainsi, quoique les Vénitiens eussent constamment joui du droit de faire leurs lois, d’élire leurs chefs, d’administrer leurs finances, de faire la guerre cl la paix, de conclure des traités avec leurs voisins, il parait incontestable qu’à certains égards, ils se reconnaissaient, sous un titre quelconque, les vassaux ou les protégés de l’une des deux grandes puissances qui s’étaient partagé l’empire romain, resserrant leurs liens avec l’une suivant qu’ils redoutaient l’autre, et profitant des circonstances pour s'affranchir entièrement. Dans le onzième siècle, lorsque les empereurs de Constantinople implorèrent leurs secours contre les Normands, pour prix de cette coopération, Venise exigea que l’empereur renonçât à tous les droits de souveraineté qu’il pouvait avoir sur les provinces de la Dalmatie, conquises depuis un siècle par les armes delà république. Les croisades lui fournirent l’occasion de rompre tous les liens de dépendance qui pouvaient encore exister entre elle et l’empire d’Orient. Du côté de l’occident, elle profita de la révolte des villes lombardes et des longues divisions qui éclatèrent entre le pape Alexandre III et l’empereur Frédéric Bar-beroussc, pour entrer dans la ligue du pape et des villes, et pour faire perdre à l’empereur toute son influence en Italie. Au commencement du XIV0 siècle, un autre empereur, Henri VII, fit un voyage en Italie. Toutes les villes de la Lombardie lui envoyèrent des députés à Milan pour lui rendre hommage et lui jurer fidélité. Les Vénitiens et les Génois s’en excusèrent; aussi l’auteur de la relation de ce voyage ajoute-t-il , que c’étaient des peuples qui ne reconnaissaient ni l’empereur, ni l’Eglise, ni Dieu. A mesure qu’elle s'affranchissait de toute autorité étrangère, Venise avait restreint, d’abord par des émeutes sanglantes, et puis par d’utiles règlements, le pouvoir de son premier magistrat. Les hommes que leurs richesses, la puissance de leur famille, l'illustration de leur nom, faisaient appeler plus fréquemment que les autres à l’exercice de l'autorité, épiaient le moment de s’en saisir comme d’un apanage. Ils réussirent à s’en emparer au commencement du quatorzième siècle, et de là résulta cette forme du gouvernement, que les partisans de l’aristocratie en ont donnée comme le modèle. On en a vu les effets : ce livre est destiné à en expliquer la théorie. A Venise, la souveraineté était dans le grand-con-seil, le gouvernement dans le sénat, l’administration dans la seigneurie, l’autorité judiciaire dans les quaranties, la police dans le conseil des Dix. Tous ces noms des principales autorités sont déjà connus du lecteur ; mais on sent bien que, pour exprimer la nature de leurs fonctions, j’ai été obligé de me servir de termes dont l’acception varie chez les peuples. On ne connaît guère de constitution politique où les limites entre les pouvoirs aient été déterminées avec cette précision invariable, qui ne permettrait ni les incertitudes, ni les conflits, ni les empiétements. La difficulté vient de ce qu’il faudrait que les diverses autorités fussent également fortes, sans être rivales ; jalouses de leurs attributions, sans être ambitieuses; indépendantes, et cependant toujours disposées à se prêter un appui mutuel. Cette constante harmonie entre toutes les parties qui composent le gouvernement, est encore plus difficile à espérer dans les sociétés où l'on n’a pas cru pouvoir se passer de cette autorité surveillante, qui répond spécialement de la sûreté publique, et dont la force ne se compose principalement que de ce qu’elle usurpe sur les autres autorités. A Venise, les membres du corps souverain, c’est-à-dire les patriciens, s’étaient réservé, non-seulement le pouvoir d’où tout émane, mais l’autorité qui exécute. La réunion de tous les nobles formait le grand-conseil, qui était le souverain et le législateur. C’était dans ce grand-conseil qu’on choisissait les sénateurs, les ministres, les membres des tribunaux, les chefs de la police et de toute l’administration civile et militaire; presque tous les emplois étant temporaires, une rotation continuelle faisait parcourir aux mêmes hommes tout le cercle de l’administration. Ces diverses autorités s’enchevêtraient les unes dans les autres : on était à la fois ministre , ou membre du conseil du doge, et membre du sénat, sénateur et juge : les chefs de la police étaient pris nécessairement dans le conseil du prince, dans le sénat et dans les tribunaux : tous ces fonctionnaires siégeaient au grand-conseil : de sorte que l’autorité du législateur, celle du juge, l’influence de l’administration et le pouvoir discrétionnaire de la police, se trouvaient réunis dans les mêmes mains. On a prétendu que les patriciens de Venise n’étaient pas de véritables nobles, parce qu’ils n'avaient ni clià-teaux-forts ni vassaux : il ne faut pas disputer sur