LIVRE XL. 3-25 cardinal riposta par un écrit contre les calomniateurs (le Platon. Les armes étaient à peu près égales; mais les suffrages du sacré collège élevèrent sur la chaire de Saint-Pierre un pape (Nicolas V) qui était platonicien. Le poids d’une telle autorité, et la mort de George de Trébizonde, semblaient devoir mettre fin a la querelle, lorsque André, son fils, la ranima, et eut à son tour, pour adversaires, Marcile Ficin et Pic de la Mirandole. Enfin, les papes, les pères, les universités, les conciles, se réunirent conlre Aris-tote. Ses livres furent censurés, brûlés; il fut défendu d’en conserver des exemplaires, et ce ne fut pointe la faute des puissances de la terre si les ouvrages de l’un des plus beaux génies qui aient honoré la raison humaine ne disparurent pas entièrement et pour toujours. Nous en devons la conservation à quelques enthousiastes qui étaient de vrais fanatiques. Leur persévérance finit par triompher. Dans le siècle suivant, ils détrônèrent Platon, rétablirent leur maître en possession de tous ses droits dans les écoles, et à lpur tour, quand ils sc trouvèrent les plus forts, ils devinrent persécuteurs. 11 serait trop long, assez difficile et tout-à-fait superflu d’expliquer le sujet de cette étrange dispute. Que nous importede vérifier quelle était exactement l’opinion d’Aristote sur l’immortalité de l’âme ou sur le libre arbitre? Cependant, quand ce philosophe eut repris le dessus, on brûla publique-mentàVenise un livre où l’on assurait,sansadopter cette erreur, qu’il ne croyait pas l’âme immortelle; et lorsque le pape Clément VIII voulut appeler à Rome le Vénitien François Patrizzi pour y expliquer les ouvrages de Platon, les théologiens de sa cour, ayant le cardinal Bellarmin à leur tête, se jetèrent à ses genoux, pour lui représenter que la doctrine de cet ancien était contraire à la foi, et qu'il n’y avait de salut qu’avec Aristote. Ainsi des savants donnaient à l’Italie le spectacle de ces querelles, où des hommes de beaucoup de talent et de savoir font l’emploi le plus déplorable de leur esprit. Le principal défenseur de Tlaton était, comme on a vu, le cardinal Bessarion, l’un des bienfaiteurs de la bibliothèque de Saint-Marc. Le champion d’Aristole appartenait à la république : c’était le savant George de Trébizonde, né à Candie, et professeur d’éloquence à Venise. II imputa à Platon tous les vices, à sa philosophie tous les malheurs de l’humanité : c’étaient d’étranges exagérations sans doute, et un grand courage mal employé; car il en fallait, pour se montrer fidèle à son maître, jusqu’à encourir la disgrâce d’un pape platonicien. Ce fut un Vénitien, Nicolas Léonic Thomæus ou Thomeo, professeur à Padoue, qui eut l’honneur de réhabiliter Aristote, sans déprécier Platon, c'est-à-dire de ramener toutes ces questions à ce qu’elles avaient de raisonnable, en dégageant les vérités que ces philosophes nous ont transmises des commentaires sous lesquels on les avait étouffées. Je me hâte de sortir des ténèbres de la philosophie scolastique pour passer à la science des laits, à l’histoire. J’ai eu déjà plus d’une fois occasion de nommer le plus ancien historien de Venise. L’ouvrage d’André Dandolo comprend les neuf premiers siècles de la république. Ce récit n’est remarquable que par sa simplicité. L’auteur l’a écrit en latin : mais quoique contemporain de Pétrarque, il s’est interdit toute espèce d’ornements. Ce monument est précieux pour l’histoire plus que pour les lettres. Le cardinal Bessarion, dont le savoir et le zèle ne se bornaient pas à soutenir desdisputes scolastiques, voulut, à l’exemple desanciens, ramener l’éloquenco dans l’histoire. Il indiqua aux Vénitiens, pourécriro les fastes de leur république, un secrétaire qu’il avait longtemps éprouvé, et qui, sur sa recommandation, fut décoré du litre d’historiographe de Venise. Son nom était Marc-Antoine Coccio, «t il y avait ajouté le surnom de Sabellicus, pour indiquer sa patrie, petite ville de l’ancien pays des Sabins. Profondément initié dans la langue de Salluste, qu’il parait s’être proposé pour modèle, mais plus occupé de la pompe du style que de la rechercho des faits, il négligea le travail qui peut seul fournir des lumières à la saine critique. Il écrivit avec une telle précipitation, que cette histoire fut terminée en quinze mois, et, de son aveu, il ne consulta pas même la chronique de Dandolo. Sa qualité d’histo- I riographe, et la pension de deux cents ducats d’or qui y était attachée, lui inspirèrent une telle reconnaissance, qu’il crut devoir se montrer le panégyriste décidé du gouvernement vénitien. 11 en est résulté que son histoire ne doit être lue qu’avec défiance, mais elle peut l’être avec plaisir, car, malgré ses défauts, elle est certainement un des ouvrages les plus distingués de la latinité moderne. On ne voit pas, au reste, pourquoi la république de Venise avait recours à un étranger, pour conserver la mémoire