90 HISTOIRE DE VENISE. à prendre ces quatre mille Hollandais à sa solde; que le prince d’Orange y consentait; mais que, coinmc on ne pouvait les embarquer pour Naples avant que le vice-roi n’eût levé le masque, les Vénitiens les tenaient en réserve sous divers prétextes, pour les faire partir au moment décisif. Le prince d’Orange avait même promis d’envoyer, aussitôt que le duc d’Ossone se serait déclaré, une escadre hollandaise dans la Méditerranée, pour interdire aux Espagnols la faculté de venir débarquer des troupes dans le royaume de Naples. Il tint en effet cette promesse, et, sous prétexte de fournir des secours aux Vénitiens, qui avaient fait la paix depuis plusieurs mois, et qui n’avaient pas besoin de vaisseaux, il fit partir, au mois de mai 1G18, douze bâtiments, qui se présentèrent devant le détroit de Gibraltar le 24 juin; la Hotte d’Espagne s’avança, pour leur interdire le passage; un engagement eut lieu ; mais, soit que le vent favorisât la marche des Hollandais, soit que l’amiral espagnol n’eût pas fait tout ce qu’il aurait pu faire, les premiers passèrent librement. II faut remarquer que cet amiral était le prince Philibert, fils du duc de Savoie, dont le père était alors l’allié secret du duc d’Ossone, et que lui-même était redevable au vice-roi du commandement qui lui avait été confié. Si la république de Venise eût été déterminée à se déclarer ouvertement pour le vice-roi qui méditait l’usurpation du trône de Naples, il aurait suffi de tenir les troupes hollandaises rassemblées, pour les embarquer au moment décisif. Mais il n’en était pas ainsi; les Vénitiens consentaient seulement à fermer les yeux, et pour que ces quatre mille hommes passassent au service du duc d’Ossone, il fallait qu’on les eût débauches du service de la république. Or, il restait à trouver un motif à cet embauchage fait dans Venise, sous les yeux de l’ambassadeur espagnol. La haine que le duc d’Ossonc affectait contre les Vénitiens fournit ce prétexte : il savait que ce sentiment était sincèrement partagé pardom l'cdro de Tolède, gouverneur de Milan, et par le marquis de Bedemar ; il feignit d’avoir conçu de grands projets contre la république, et envoya à Venise des émissaires secrets, pour en préparer l’exécution, en débauchant les troupes hollandaises, que le gouvernement vénitien tenait si complaisamment dans le lazaret. XV. Entre les étrangers que le duc d’Ossone avait attirés, depuis quelque temps, à son service, il y avait un homme de mer nommé le capitaine Jacques Pierre, natif de Normandie, qui s’était acquis une grande réputation. Ce Jacques Pierre, ayant beaucoup navigué dans les mers du Levant, s’était rendu redoutable au commerce des Turcs. Le duc de Ne-vers, qui prétendait avoir hérité des droits des l’a- léologues sur une partie de la Grèce, et le père Joseph, confident du cardinal de Richelieu, l’avaient employé à pratiquer des intelligences dans la Morée. Le duc d’Ossone, qui l’avait attiré dans son gouvernement, lui fit une de ces confidences qu’on croit toujours propres à séduire les hommes de résolution. Il lui dit un jour, que Venise était une ville ouverte, où l’on pouvait arriver de tous côtés avec des bateaux plats ; qu’habituellement on n’y entretenait point de garnison, mais seulement une garde de police ; que la population était timide ; qu’à certaine époque de l’année, une grande partie de la noblesse et des citoyens opulents se retiraient à la campagne; qu’ordinairement il y avait dans cette ville un grand concours d’étrangers; et que, dans ce moment, le lazaret était rempli de troupes hollandaises, mécontentes de leur licenciement, et fatiguées de leur inaction. L'oligarchie vénitienne était un gouvernement odieux, qui ne devait pas trouver parmi scs sujets de zélés défenseurs. Toutes ces circonstances paraissaient favorables pour se rendre maître de cette capitale par un coup de main : il suffisait, pour cela, de gagner une partie des troupes hollandaises; de répandre tout à coup dans la ville l’alarme, la confusion, et de s’emparer des postes principaux. A l’instant, les galions de Naples pénétreraient dans les lagunes, et débarqueraient deux ou trois mille soldats ; de sorte que Venise se trouverait au pouvoir du vainqueur, avant que les conseils eussent pu se réunir, et que les troupes du dehors, que d’ailleurs 011 tâcherait d’occuper, eussent pu arriver à leur secours. Pour tenter une pareille entreprise, il fallait un homme de tète et de cœur; c’était à ce double titre qu’on lui en confiait la direction. Au surplus, il devait, selon les circonstances, recevoir des instructions plus détaillées de l’ambassadeur de sa majesté catholique résidant dans cette capitale. Renverser le gouvernement vénitien n’était pas seulement une entreprise glorieuse, c’était le plus grand service qu’on put rendre à la couronne d’Espagne. Telles furent, à peu près, les instructions que le duc d’Ossone donna au capitaine; et, comme 011 aurait cru manquer aux règles de la politique, si 011 n’eût mis de la ruse dans les moindres détails de scs actions, il fut convenu que Jacques Pierre feindrait de quitter le service de Naples, et affecterait le ressentiment d’un favori disgracié. En conséquence, vers le milieu de l’année 1617, il partit ou feignit de s’échapper de Naples, et annonça, en passant à Rome, que son projet était d’aller offrir ses services aux Vénitiens. Le duc d’Ossone affecta une grande colère, en apprenant le départ de cet étranger; il fit arrêter la , famille et confisquer les biens du capitaine, tandis