preuve certaine qu’on avait grand intérêt de faire disparaître toutes les traces de cette affaire. L’expédient si tardif dont on s’était avisé, de rendre grâce de cette découverte à la Providence, cinq mois après le péril passé. Le silence qu’on avait gardé sur cette affaire, avec tous les ministres étrangers résidant à Venise. Enfin le mécontentement qu'on savait que le sénat avait témoigné, de la manière dont elle avait été conduite par le conseil des Dix. L'ambassadeur mettait ces arguments dans la bouche de quelques Français, mécontents d’avoir vu sacrifier uu si grand nombre de leurs compatriotes. XXXII. Les faits constants sont:que, s’il y avait eu réellement un projet de conspiration contre Venise, le gouvernement en était averti un an avant qu’elle fut sur le point d’éclater; qu’il fit périr sans choix, sans formes, sans même les interroger, plusieurs centaines de prévenus, trompés sur l’objet du complot dont ils étaient les agents, et ceux qui, depuis longtemps, l’avait révélé. 11 était possible que Jacques Pierre, Renault, plusieurs autres, et le marquis de Bedemar lui-même, crussent à l’existence de la conjuration, sans qu’elle eut rien de réel ; mais il était impossible que le duc d’Ossone pensât à conspirer contreVenise, puisqu’il est certain que, dans le même temps, il aspirait à se rendre maître du royaume de Naples. L’existence de ce dernier fait détruit l’autre nécessairement; et sans ce fait, la conduite des Vénitiens et du duc d’Ossone demeure inexplicable, et nous jette dans toutes les incertitudes qu’atteste la diversité des récits. Au contraire, en partant de ce projet d’usurpation de la couronne, projet qu’il est impossible de révoquer en doute, toutes les circonstances, jusque-là incompréhensibles, deviennent explicables. Le duc d’Ossone continue la guerre, pour se dispenser de désarmer ; il fait arborer son propre pavillon sur la flotte du roi ; il envoie des émissaires à Venise, pour y engager des troupes que la république licenciait; il trompe l’ambassadeur d’Es-pagnc,sur la destination de ces troupes; il annonce le projet de s’emparer de Venise, et quand ses agents lui écrivent que tout est prêt, qu’on n’attend plus que ses ordres, il diffère de les donner. Quelques-uns de ces agents, effrayés du péril inséparable d’une telle entreprise, la révèlent au gouvernement vénitien, et continuent d’avoir des relations mystérieuses avec l’ambassadeur d’Espagne. Les Vénitiens, prévenus qu'il y a à se méfier de ces émissaires, les reçoivent, les accueillent, les emploient. Ils savent qu’on débauche leurs troupes, et ils ne les éloignent ni ne les licencient; ils affectent de se plaindre du vice-roi de Naples, et laissent I ses agents recruter pour lui dans Venise. Pendant dix mois, ils feignent d’ignorer qu’il se trame une conspiration. Voilà, ce semble, une explication assez naturelle de la conduite du duc d’Ossone, de Jacques Pierre, du marquis de Bedemar, et des Vénitiens. Tout à coup, ceux-ci s’aperçoivent que le projet du vice-roi va transpirer; aussitôt, ils feignent de découvrir une conspiration; ils font enlever tous les émissaires du duc, tous ceux que ces émissaires ont engagés; tous sont sacrifiés, quelque peu initiés qu’ils puissent être dans ce mystère. Le plus instruit, celui qui avait, dès longtemps, révélé tout ce qu’il savait, est noyé, sans qu’on se donne seulement le temps de l’interroger; les autres, avant d’être envoyés secrètement au supplice, sont appliqués à la question. Et pourquoi cette procédure, ces interrogatoires, ces tortures? C’est pour arracher aux prévenus, non l’aveu d’une conspiration que leurs juges connaissaient mieux qu’eux, mais les noms de quelques complices ; car il ne fallait pas qu’un seul put échapper. Les dénonciateurs disparaissent en même temps que les accusés; le peuple s’effraie, frémit du complot qu’on lui révèle ; l’ambassadeur d’Espagne se trouve compromis; celui de France, frappé d’étonnement, ne peut percer ce terrible mystère; le marquis de Bedemar fuit de Venise; et le gouvernement de la république, après avoir effacé toutes les traces d’un complot tramé de son aveu, prend, sur le gouvernement espagnol, l’avantage de l’initiative dans l’accusation. Toutes ces circonstances s’enchaînent, sesuivent, s’éclaircissent mutuellement; les documents qui nous restent sont d’accord avec les faits; au lieu d’un projet absurde et impie, conçu contre Venise, par un conseil grave et un prince timide, on voit l’entreprise imprudente d’un grand seigneur ambitieux, secrètement favorisée par quelques puissances jalouses de l’Espagne. L’atrocité de beaucoup d’exécutions injustes subsiste toujours, mais du moins on voit l’intérêt que le gouvernement vénitien pouvait avoir à sacrifier tant de malheureux. Le gouvernement français, et quelques autres puissances, sont accusés d’avoir encourage, sous main, la rébellion d’un sujet de la cour d’Espagne : c’est un genre d’hostilité que beaucoup d’exemples rendent croyable, quoiqu’ils ne le justifient pas. Les Espagnolseux-mêmes n’avaient fait emploi que de ce moyen, pendant toute la durée de la Ligue; et la cour de France était si disposée à user de représailles, qu’elle en réitéra l’essai à plusieurs reprises. La conduite que tint cette cour fournit encore une preuve de la connaissance qu’on y avait de l’usurpation médilée par le duc d’Ossone. L’archevêque de Lyon, Marquemont, ambassadeur à Rorne, et qui