£90 HISTOIRE HE VENISE. leurs fréquentes révoltes en sont la preuve. Thucydide compare le système des Athéniens à celui des Lacédéinoniens, pour l’administration de leurs colonies. Les Athéniens, dont le gouvernement était populaire, imposaient des Irihutsauxvillessujettes; Lacédémone n’en exigeait rien : parce que, dit-il, les ménagements étaient nécessaires pour leur faire supporter le joug de l’aristocratie. Les Vénitiens n’avaient point profité de ce conseil : chez eux le commandement des provinces était l’apanage des familles puissantes; mais il fallait éviter que les gouverneurs ne s’habituassent à l’autorité par un trop long exercice. On décida que leur mission serait temporaire. La durée en fut fixée à deux ans, dans les provinces au delà de l’Adriatique. On les environnait d’un conseil ; 011 plaçait près d’eux un officier spécialement chargé du commandement des troupes. C’étaient sans doute des surveillants aussi bien que des coopérateurs. Celte administration s’est compliquée avec le temps; elle s’est modifiée à quelques égards; mais toujours les naturels du pays en ont été soigneusement exclus. Pour en donner tout de suite une idée, je vais faire connaître ici quelle était l’organisation du gouvernement des colonies dans les derniers temps. La province du Erioul était gouvernée par un provéditeur-général, qui avait un lieutenant. L’Is-trie avait neuf podestats. Dans la Dalmatie, les ofli-cicrs envoyés pour administrer au nom de la république, prenaient le titre de provéditeurs, de coin tes, de gouverneurs,decapitaines ou dechàtelains, subordonnés à un provéditeur-général. Ceux des villes les plus considérables, comme Zara et Spalato, étaient assistés d’un conseil composé de trois nobles vénitiens. Corfou, Zante et Céphalonie avaient chacune un provédileur et un conseil semblable; il y avait pources trois lies un général auquel ces divers magistrats obéissaient. Une administration lointaine confiée à des hommes puissants, fortement appuyés auprès du gouvernement central, et avertis que leur mission n’était que temporaire, devait nécessairement donner lieu à des abus d’autorité. 11 fallait profiter du temps pour s’enrichir. Afin d'y porter remède, ou pour montrer aux peuples que le gouvernement les protégeait de loin, 011 imagina d’envoyer tous les cinq ans dans ces provinces une commission de trois sénateurs, qui étaient chargés de recueillir les plaintes et de redresser les torts. Ils marchaient avec un appareil formidable, car le bourreau faisait partie de leur cortège. Mgis lorsqu’un gouvernement confie au loin un grand pouvoir, il ne doit jamais menacer, dans sa sûreté présente ou future, celui qui en est revêtu. Cet appareil se réduisit à une vaine ostentation; ceux des commissaires qui voulurent déployer quelque sévérité dans leur mission, s’aperçurent qu’elle n’était pas sans danger, et bien tôt 01111e trouva plus personne pour l’accepter. Cependant, en 1773, le gouverneur de Corfou, Pierre-Antoine Querini, fut destitué et mis en prison, pour avoir imposé au peuple des taxes injustes dont il vendait le produit aux nobles du pays. XV. La vanité des Vénitiens leur a fait établir plus d’une fois le parallèle entre leur république et celle de Rome. On lisait sur leurs portiques ces vers si fameux de Sannazar : Viderai Adriacis VenetamNeptunus in undis Stare urbem et toto dicere jura mari : I, mine tarpelas quantumvis, Jupiter, arces Objice et ilia tui mœnia Marlis, ail, Si Tiberim pelago cont'crs, urbem aspice ulramque, qu’011 hasarde de Iraduire ainsi : lllam hommes dlces, banc posuisse deos. Neptune contemplait sa cité triomphante, La superbe Venise, assise sur les mers, S’élevant pour régner sur la plaine mourante Du sein des flots amers : 0 Jupiter ! dit-il, ne nous vante plus Rome, lit ton fier Capilole, aux mortels odieux : Regarde et reconnais, là l’ouvrage de l’homme. Ici celui des dieux ! l/hypcrbole n’est excusable que chez les poètes; mais, quoiqu’il y ait dans le seul rapprochement de ces deux noms quelque chose de fastueux, on peut faire remarquer entre les deux républiques des rapports et des différences dont les résultats sont digues d’être observés. Rome, d'abord soumise à des rois, dut à Rrutus ses consuls et la liberté : elle eut des dictateurs, mais au besoin; des déceinvirs, mais pour deux ans. Cinna, Sylia, ne furent que des tyrans passagers. Crassus et Pompée firent place à César ; Lépide et Antoine à Auguste. Fatigués des discordes civiles, les Romains acceptèrent un maître. Ce sont à peu près les premières paroles de Tacite, et toute son histoire tend à prouver que la corruption des mœurs fit tomber la reine du monde sous le despotisme des plus odieux tyrans qui aient déshonoré le trône et l’humanité. Venise, d’abord petite république démocratique, éprouva le besoin d’un changement, dans le troisième siècle de son existence. Elle se donna un prince. L’abus du pouvoir provoqua de sanglantes vengeances; vingt doges furent chassés du trône, privés de la vue, massacrés. Mais, pendant qu’on agissait si violemment contre les personnes, 011 procéda avec méthode contre l’autorité, qui finit par n’être plus qu’une magistrature. Venise redevenue insensiblement république, les nobles s’emparèrent de la souveraineté, et surent la