380 HISTOIRE DE VENISE. partit librement et sans précipitation, le 14 juin, vingt jours après son audience, et un mois après la découverte de la conjuration. Enfin, en rapportant l’interrogatoire de Renault, l’historien supprime tout ce qui, dans la procédure, est relatif à la correspondance du duc de Neve^ parce que ces détails auraient amené la citation de la lettre de Jacques I’ierre, que j’ai rapportée plus haut, et qui était à la décharge des deux principaux accusés. Ces détails suffisent, je pense, pour faire juger comment l’abbé de Saint-Iléal faisait usage des pièces qu’il avait sous les yeux. (’.et historien, comme on voit, aurait pu citer plus fidèlement ; mais ce n’était pas à cela que se bornait son devoir : il fallait s'assurer si les pièces dont il s'autorisait pouvaient être données pour authentiques. Il en cite quatre : La dépêche de Jacques Pierre au duc d'Ossone ; Le plan de l’entreprise; La déposition de Jalller; Le procès criminel des conjurés; mais elles se réduisent à deux. Ce qu'il appelle le plan de l’entreprise est une instruction que Jacques Pierre avait jointe à sa lettre au vice-roi, et qui avait pour objet d'indiquer la manière de pénétrer dans les passes, d’opérer le débarquement des troupes venant de Maplcs, cl de surprendre les forts. Quant à la déposition de Jadier, elle fait partie delà procédure. Ni l’une ni l'autre de ces pièces n’a un caractère d'authenticité. J’ignore si la lettre de Jacques Pierre est supposée ou non. Il serait très-possible qu’elle fût authentique ; car nous savons bien que Jacques Pierre avait été envoyé avec la mission de conspirer contre Venise. Il était tout simple par conséquent qu’il entretint une correspondance sur cet objet; mais nous savons aussi qu’il tenait soigneusement le gouvernement vénitien informé des progrès de cette conjuration, dont il se croyait le principal agent. Quant à la procédure, elle est remplie d’inexactitudes que j’ai déjà indiquées, cl qui portent sur des faits importants. On peut comparer cette procédure, dont nous n’avons qu'une copie.informe, et dont nous ignorons l’origine, avec un recueil de pièces authentiques qui existe dans les archives vénitiennes ; c'est le registre de la correspondance du gouvernement vénitien avec son résident à Milan. On lui dicte ce qu’il doit dire relativement aux événements du mois de mai 1618, et on lui envoie copie des instructions données à l'ambassadeur de la république en Espa- gne , de quelques rapports faits par le conseil des Dix, et du procès-verbal de la séance du collège à laquelle se rendit le marquis de Bcdemar. On y voit que le conseil des Dix dissimulait qu'il avait eu connaissance des projets attribués au duc d’Ossone contre Venise, près d’un an avant l’époque où il prétendait les avoir découverts, et qu’il adressait ses rapports, non pas au sénat, mais aux sages-grands. Il résulte de ces pièces et de la correspondance des ambassadeurs, qu’il est faux qu’on eût arrêlé des accusés dans le palais de France; qu'il est faux qu’on eût fait une perquisition dans le palais d’Espagne, et par conséquent qu’on y eut trouvé des armes; qu’il est faux qu’on eût mandé l'ambassadeur de France, et qu’on lui eut fait aucune communication ; qu'enfin le marquis de Bcdemar ne se présenta point au collège, comme on le prétend, le lendemain du jour où la conjuration avait été découverte, mais onze jours plus tard, le mai; qu’il n’y tint point les discours qu'on lui attribue, et que le vice-doge ne lui adressa point les reproches rapportés par plusieurs historiens ; que, dans cette audience, if lie fut nullement question de la perquisition faite chez ce ministre; cependant il aurait été naturel qu’il s'en plaignit ; cl si des armes eussent été trouvées chez lui, le collège n’aurait pas manqué d'insister sur cette circonstance, ce qui aurait nécessité une explication. Les discours que la procédure prèle au marquis de Bedemar, sont prcsqucdcsavcux;ccux qu’on fait tenir au doge sont sévères; mais ni les uns ni les autres ne sont conformes à ce qu’on lit dans le procès-verbal. Ainsi il y a eu nécessairement, de la part des rédacteurs de la procédure, ignorance des faits, uu mauvaise foi. Dans l'un et l'autre cas, celle procédure ne mérite aucune confiance, cl l'hisloire ne peut en faire usage qu'en la désignant comme une pièce dont la supposition ne pouvait avoir pour objet que d'égarer l’opinion. Je viens de faire remarquer que le conseil des Dix n’avait point adressé scs rapports sur cette affaire au sénat, qui était compose de près de trois cents personnes, mais aux sages-grands ou ministres d'Etat, qui n’étaienl qu’au nombre de six. Le sénat était cependant le corps investi de l'autorité politique; mais, pour s'expliquer comment on se dispensait de lui rendre compte d’une affaire qui était dans ses attributions, il sullit de se rappeler qu’à Venise les inquisiteurs d’Étal s’étaient emparés de la direction d«s affaires politiques les plus secrètes. Quand un ambassadeur avait été nommé, il était mandé au tribunal, qui lui enjoignait de correspondre immédiatement cl exclusivement avec l’inquisition d’Elal, sur les affaires délicates. Les inqui-