LIVRE XXXIV. 109 côte d’Albanie, elles se réduisirent aux places de liutrinto, Parga et l’révésa, c’est-à-dire à une lisière d’une vingtaine de lieues de longueur, sur deux lieues de largeur. Cependant il fautremarquer que cette position était d’une grande importance, parce que ce littoral forme la côte orientale du canal qui sépare l’ile de Corfou du continent. Le canal n’aurait pas été tenable, pour les vaisseaux stationnés à Corfou, si la côte opposée eût été ennemie; tandis qu’au contraire l’occupation de cette côte leur garantissait la sûreté de ce bassin, attendu qu’à ses deux extrémités lesfeux de l’ile et ceux du continent peuvent se croiser. Les trois villesdeButrinto,Parga et Prévésa ont chacune un très-bon port, les deux premières étaient fortifiées; les Turcs, par le traité de Carlowitz, avaient obligé les Vénitiens à démanteler la troisième. Cette paix de Passarowitz fut signée le 21 juillet 1718. En môme temps l’empereur décidait du sort de l’Italie, par un traité particulier avec la France et l’Angleterre. On y arrêtait que l’Autriche aurait la Sicile, et qu’on indemniserait le duc de Savoie, en lui abandonnant la Sardaigne. Ce traité fut encore une humiliation pour la république, qui n’y était point intervenue, et pour l’Italie une nouvelle source de calamités. Dans ses deux dernières guerres avec les Turcs, Venise avait eu l’empereur pour auxiliaire ; cette alliance de dix-huit ans l’accoutuma à l’idée qu’elle avait des intérêts communs avec la maison d’Autriche, et lui fit oublier les raisons qui pouvaient la déterminer à chercher du côté de la France une protection moins dangereuse; les Vénitiens ne pardonnaient pas à la France, d’avoir envahi le commerce du Levant pendant la guerre de Candie, d’avoir forcé, par son ambition, par scs victoires, l’empereur à faire brusquement la paix avec les Turcs, et par-là, de les avoir forcés eux-mêmes à céder la Morée, en les réduisant à continuer la guerre avec leurs seules forces contre l’empire ottoman. La paix de Tassarowitz était à peine conclue, qu’un accident terrible vint bouleverser cette forteresse de Corfou, si heureusement sauvée des mains des Turcs, et faire périr les braves qui avaient survécu à sa défense. Le 28 octobre, le tonnerre fit sauter trois magasins à poudre. Beaucoup de maisons détruites, une partie des fortifications renversées, quatre galéasses et une galère coulées au fond de la mer, plusieurs vaisseaux fracassés dans le port, deux mille personnes écrasées, un plus grand nombre de blessés, le capitaine-général Pisani, et plusieurs de ses principaux officiers ensevelis sous les ruines, après avoir échappé si longtemps à tous les dangers de la guerre; telles furent les principales circonstances de ce désastre, qui donna lieu au maréchal de Schullembourg de tracer un nouveau plan pour les fortifications de Corfou, d’après lequel elles furent réparées comme on les voit aujourd’hui. Ce fut à l’occasion de ces travaux, que les habitants de l’ile furent assujétis à payer un dixième du vin et de l’huile qu’ils recueillaient.