G8 HISTOIRE DE VENISE. obstacle, tous les écrits, et mémo les libelles répandus contre lui. On eût dit que, pour la première fois, il y avait à Venise liberté de penser et d’écrire, et l’on éprouva, dans cette occasion, que les princes n'ont rien à craindre de cette liberté, quand le gouvernement ne se met pas en opposition avec l’esprit public. XIV. Entre tous ces écrits, dont je ne parle ici que pour faire remarquer les progrès que la raison humaine faisait vers son indépendance, il en est un du frère Paul Sarpi, non moins digne d’attention par sa force que singulier par sa destination. L’auteur annonce qu’il a composé cet ouvrage pour rassurer les consciences du conseil des Dix, dans les tribulations que leur causent les censures ecclésiastiques. Il est difficile de croire que ce corps poussât la dévotion jusqu’au scrupule, et fût alarmé pour son salut. Aussi cet ouvrage n’est-il autre chose qifun recueil d’arguments contre la cour de Rome, misa la disposition des hommes d’État. Ce sont des conseils qui n’étaient point destinés à recevoir la publicité sous cette forme. Connaissant, dit l’auteur, le caractère de piété qu’à montré constamment cette république, je ne suis point surpris de voir les esprits alarmés des analhèmcs dont les menacent ceux qui se disent les conservateurs de la foi. Ces matières ne sont pas ordinairement le sujet des études des princes. J’entreprends de les soumettre à l’examen , mais pour les sages seulement. Il y a la manière de penser du peuple, et celle des hommes d’Etat. La science ressemble au vin. Les honnêtes gens en usent pour se fortifier, la canaille s'enivre. Si en politique il est souvent utile que le plus grand nombre reste dans (1) De Thotj, liv.137, accuse les jésuites de cel assassinat; il dit que l’un fies sicaires, avant de commettre le crime, avait confié ses enfants au père Possevin. « Après tout, ajoute-t-il, il ne seroit pas fort surprenant que des gens qui tenoient pour maxime qu’il est permis de tuer les rois qui sont hors du sein de PÉglise (ce qu’on avoit vu en Fiance quelques années auparavant), eussent séduit un homme de peu de jugement pour le déterminer à tuer un simple religieux. » (2) L’examen de l’orthodoxie de Sarpi n’appartient point à l’histoire de Venise. Il parait que lîossuet a voulu se ranger parmi les accusateurs de ce savant théologien, qui a trouvé des défenseurs fort zélés, parmi ceux qui approuvaient sa courageuse résistance contre les prétentions de la cour romaine. C’est sans doute une témérité de vouloir pénétrer dans la conscience d’un homme, pour lui imputer des opinions qu’il a au moins évité d’énoncer, quand même il les aurait professées en secret. Les écrivains réformés n’ont pas manqué de tirer parti des soupçons répandus contre Sarpi, pour se donner l’avantage de le compter parmi leurs partisans. C’est aujourd’hui une question tout à-fait oiseuse ; mais ce qui n’est point indifférent, c’est un fait que je trouve dans le Magasin his- l’ignorance, en matière de foi c’est toujours une nécessité. On juge par ce préambule que l’auteur, entreprenant l’examen des maximes de la cour de Rome devant des hommes d’État, va les discuter avec une liberté que n’exclut point la piété sincère; mais l’analyse de ce livre, où il pose les limites qui séparent la puissance spirituelle de la puissance temporelle, nous entraînerait trop loin. Je n’ai pas cru pouvoir me dispenser d’en faire mention. Pour donner une idée exacte du gouvernement vénitien, il fallait bien faire connaître les principes qu’il opposait aux prétentions du saint-siége. Ce moine, dont les idées s’élevaient si fort au dessus de son état et des préjugés de son temps, éprouva, quelques années après, qu’il est des ennemis qui ne pardonnent jamais; il fut assassiné deux ou trois fois. Ce fut un savant, un politique, un écrivain habile, mais quelquefois un odieux conseiller du tribunal des Dix. On doit cette justice au cardinal Bellarmin, l’adversaire defra Paolo,de dire que ce fut lui qui le lit avertir du complot qui se tramait contre sa vie. Fra Paolo portait une cotte de mailles sous sa robe; il se faisait accompagner d’un frère de son couvent, armé d’un mousqueton. Malgré ces précautions, il fut assailli un soir par cinq assassins, qui le frappèrent de vingt-trois coups de stylet, et se sauvèrent dans l’Élat de l’Eglise, à l’aide d’une barque à dix rames préparée par ordre du nonce (1). Ses ennemis, n’ayant pu réussir à lui ôter la vie, voulurent le faire condamner comme hérétique. On le soupçonnait de partager les opinions des réformés (2), et pour l’en convaincre on lâcha de surprendre sa correspondance avec eus. torique, de M. Lebret, imprimé à Leipsig, tom. II, p. 235 et suiv. A propos d’une analyse des lettres de Sarpi, il raconte qu’en 1609 un agent de l’électeur Palatin, ayant été envoyé à Venise, pour y négocier en faveur des princes protestants, y fit d’étranges découvertes dont il rendit compte dans son rapport. Cet envoyé, qui se nommait J. B. Linckli, fit connaissance avec un avocat vénitien nommé Pessenti, et remarqua, dans leurs entretiens confidentiels, que celui-ci vantait beaucoup les règlements des princes allemands, ceux des princes protestants surtout. Pessenti lui confia qu’il existait à Venise une association secrète de plus de mille personnes diposées à se détacher de la cour de Rome ; que ce nombre augmentait tous les jours, qu’on y comptait environ trois cents patriciens des familles les plus distinguées, et que cette société était dirigée par le père Paul Sarpi et le père Fulgence, tous deux serviles. Linckh s'adressa à l'envoyé d’Angleterre, pour savoir si la chose était vraie, et celui-ci la lui ayant confirmée., il* allèrent ensemble faire une visite à ces deux religieux. Après avoir fait un compliment à Sarpi, sur ce que sa renommé avait passé les Alpes, ils lui dirent qu’ils souhaitaient que Dieu bénît scs efforls, à quoi Sarpi répondit qu’il était flatté