LIVRE XXXV. 179 d’Aquilée forma les archevêchés d’Udine et de Corice. La république témoigna son ressentiment conlre la cour de Rome, en remettant en vigueur quelques anciennes lois relatives à l'abus des dispenses et des indulgences. Le pape demanda vivement que ce décret fût rapporté. L’abbé de Bernis, qui voulait être cardinal, et l’abbé de Villesocalf, chargé après lui des affaires de France à Venise, et nouvellement pourvu d’une riche abbaye par la protection du sainl-sicgc, »’épargnèrent pas leurs efforts pour obtenir cette révocation. Ils firent intervenir le nom de leur souverain ; le décret fut d’abord suspendu, mais pour quatre mois seulement ; et ce qu’on avait refusé au roi de France, fut accordé aux instances d’un nouveau pape, Clément XIII, qui était Vénitien. Ce dépit de la république conlre Rome, ne se manifesta plus que par une guerre de douanes. La contestation qu’on venait d’avoir avec l’Autriche, au sujet du patriarcat d’Aquilée, diminua un peu le crédit dont la cour de Vienne jouissait à Venise. Nous avons eu occasion de rapporter que depuis leurs dernières guerres contre les Turcs, les Vénitiens paraissaient s’être rapprochés de l’Autriche, quoique cette puissance eut conclu deux traités importants, sans ménager les intérêts de la république, son alliée, et sans même la consulter. On a pu remarquer que, lorsque la guerre pour la succession de l’empereur Charles VI fut sur le point d’éclater, la reine de Hongrie, Marie-Thérèse, avait un pnrli dans le sénat ; on redoutait l’ambition autrichienne, et cependant, on affectait pour cette maison des égards qui étaient autant de symptômes d’une inimitié secrète contre la France. Les preuves de cette inimitié ne tardèrent pas à se multiplier. En 1710, lorsque le conclave était assemblé depuis plusieurs mois, pour donner un successeur au pape Clément XII, la cour de Versailles fit demander au sénat que les cardinaux vénitiens votassent avec ceux de la faction de France. Cette proposition fut rejetée sèchement, sous le prétexte que les cardinaux, nés sujets de la république, avaient la libre disposition de leur voix. Vers la même époque, un nouveau tarif des douanes assujétit les sucres bruts venant de France à des droits que les autres nations ne payaient pas. En 1742, la colonie des négociants vénitiens établis en Chypre, qui, depuis la décadence de la république, avait reconnu le consul de France pour protecteur, imagina de renoncer à cette protection pour passer sous celle du consul anglais. Le gouvernement français réclama ; le sénat éluda de donner une réponse décisive, prétextant que cette affaire était de la compétente du baile résidant à Constan- tinople; et il se trouva que le ministre avait déjà envoyé au consul anglais la patente de consul vénitien. En 1747, Venise décela encore, parle choix de scs amis, ses sentiments pour la France, en s’abandonnant sans mesure aux intérêts de l’Angleterre, et en lui fournissant même des secours clandestins. On voit que la politique de ce grave sénat n’était pas exemple de passions, et par conséquent, d’imprudence ; aussi le traité de 17K6, qui unit les deux maisons d’Autriche et de Bourbon, causa-t-il à ce gouvernement les plus vives alarmes. La république n’en cul pas plus tôt été informée, qu’elle se hâta de conclure une convention avec les Grisons pour avoir une roule de communicalion avec la Souabe, sans passer par le territoire autrichien, afin de pouvoir appeler des secours de la haute Allemagne. L’année suivante, la cour de Vienne sollicita un emprunt à Venise ; le gouvernement se garda bien de le fournir ; il se contenta, ou plutôt feignit de le tolérer, bien sur que les sujets rie courraient pas le risque de déplaire à l’inquisition d’Élat, en ouvrant leur bourse à une puissance étrangère. En 1762, à la fin de la guerre qui, pendant sept ans avait ravagé l’Allemagne, Venise tenta de renouveler son alliance avec les Grisons pour en obtenir quelques troupes ; mais la cour de Vienne fit échouer celle négociation, et la république piquée s’en prit aux Grisons, à qui elle retira les privilèges qu’elle leur avait précédemment accordés, leur refusant même les arrérages de quelques pensions qui leur étaient ducs depuis un grand nombre d’années. XIV. Une des circonstances qui conlribuèrent à sauver le reste des colonies vénitiennes, après la perte de Candie et de la llorée, ce fut la décadence de l’empire turc; elle suivit immédiatement ces deux importantes conquêtes. Le prince Eugène avait porté de si rudes coups à cet empire, les guerres contre la Perse et la Russie l’avaient tellement affaibli, qu’il n’osa plus se commettre, même avec une république qui paraissait déterminée à ne plus accepter la guerre. Il ne cessait pas de convoiter la Dalmalic et l’Albanie, mais il n’osait hasarder de donner de l’ombrage à l'Autriche. 11 est probable que Venise ne fut redevable de la conservation de ces deux provinces, qu’à la circonspection que la puissance autrichienne inspirait au ministère ottoman. Du côté de l’Europe chrétienne, Venise était à la discrétion de l’Autriche ou du premier occupant de l’Italie. Elle n'avait de sauvegarde que dans le droit public, c’est-à-dire dans la jalousie des grandes puissances.