372 HISTOIRE DE VENISE. rèrent pour atteindre par la ruse l'objet auquel ils n'avaient pu parvenir à force ouverte. Ils résolurent de tenter par l’appàt du gain la fidélité des troupes mercenaires de la république, de surprendre quelques places fortes, et de porter même le trouble et la désolation dans la capitale. Don Pèdre avait traité avec un Français nommé J. Bernard, capitaine au service des Vénitiens, qui devait lui livrer la citadelle de Crème. Beaucoup de soldats étaient gagnés. Le jour était déjà fixé où ce complot devait éclater, et des troupes espagnoles s’é-laierit avancées jusqu’à Lodi, pour en faciliter l’exécution. Grâce au ciel, un des conjurés révéla ce projet criminel : Bernard fut arrêté avec un grand nombre de ses complices, cl tous furent pendus, après avoir été convaincus de leur trahison. C’est ainsi que Crème fut sauvée, et que don Pèdre se vit trompé dans le succès de ses coupables machinations. « Dans le même temps, les vaisseaux du duc d'Os-sone infestaient le golfe. Ils se tenaient cachés derrière les ccucils qui sont du côté de Zara, attendant un avis qu’on devait leur envoyer pour venir surprendre la ville deChiozza. Le plan de cette entreprise avait été tracé, le jour en avait été assigné par un certain Alexandre Spinosa, Romain, qui était gouverneur de cette place. Le bonheur des Vénitiens voulut que cette trame fût découverte avant que ce trailrc pût livrer la ville, et que la flottille napolitaine fft son irruption dans les lagunes. L’auteur de cette trahison fut étranglé, pendu par un pied au gibet, et les bâtiments ennemis rentrèrent honteusement dans leurs ports. La haine du duc d'Ossone contre la république n’en fut que plus animée, et Alphonse de la Cucva, ambassadeur du roi d’Espagne à Venise, n’était que trop porté à la seconder. « Pendant que les Vénitiens étaient occupés du siège de Gradiska, ces deux ministres tramèrent une horrible conspiration. Ils séduisirent des gens de guerre à la solde de la république. La Cucva débaucha beaucoup de Hollandais, par l’entremise de quelques hommes pervers, qu’animaient la rage de bouleverser l’Etat, et l'espoir du pillage. « Sur ces entrefaites arriva à Naples un fameux pirate, nommé Jacques Pierre, et fort aimé du duc d’Ossone, parce que c’était un misérable capable de tout. Après avoir concerté leur plan de trahison, ils convinrent de se brouiller pour tromper plus facilement. Jacques Pierre quitta Naples avec toutes les démonstrations du ressentiment. Le vice-roi, fort irrité en apparence de cette défection, fit arrêter (1) De Trévise, c'est une erreur. Tous les historiens s'accordent à dire qu'il était Français, et la correspondance de ! la femme du corsaire, Celui-ci se rendit à Rome, se présenta à Simon Contarini, ambassadeur de Venise dans cette résidence, et lui témoigna un extrême désir d’être admis, dans sa profession de marin, au service de la république. Contarini, qui n’était pas sans soupçon sur cet étranger, différait d’écrire en sa faveur. Cependant, deux raisons le déterminèrent : le témoignage très-favorable que l’ambassadeur de France rendit de Jacques Pierre, et le grand besoin que la république avait alors de recruter son armée. Le corsaire arriva à Venise, accompagné d’un habile artificier, nommé Langlade, et y obtint le commandement de deux vaisseaux, avec une solde de deux cents ducats d’or par mois. « Il y avait alors à Venise un Nicolas Renault, de Trévisc (1), qui était du nombre des conjurés. Le duc d’Ossone écrivit des lettres dans lesquelles, en exaltant beaucoup l’habileté du capitaine, il témoignait un extrême regret de son départ. Le ressentiment que Jacques Pierre affectait de montrer, lui procura un bon accueil de la part du gouvernement. Il ne parlait que de projets pour détruire la flotte espagnole, pour s’emparer de quelques places maritimes de la l’ouillc. Cependant, en attendant qu’il pût mettre à exécution le crime qu'il méditait, à l'aide de scs complices, qui pour la plupart étaient Bourguignons ou Français, il observait les environs de la capitale, ses issues, ses ports, les édifices publics et privés, parcourait les canaux, examinait tous les passages, et ne cessait d’affecter une haute admiration de lantde magnificence. « Sous le voile de ce faux zèle, il avait des conférences nocturnes avec l’ambassadeur. Là se trouvaient les chefs des conjurés; de là partaient fréquemment des avis qui engageaient le vice-roi de Naples à tenir sa flotte prête à faire voile pour l’Adriatique. A Venise, tout était déjà disposé. Le succès de l’entreprise n'était pas douteux. Des troupes de conjurés, répandues dans la ville, à la faveur de la nuit, devaient incendier l’arsenal, enfoncer les portes du trésor, couper les ponts, mettre le feu dans les endroits principaux, intercepter les communications, pour empêcher l'arrivée des secours, egorgir les plus riches et les plus éminents d’entre les nobles, assaillir, piller les maisons qui auraient été marquées exprès la veille. « Les scélérats qui méditaient ces desseins horribles, montaient tous lesjourssur le clocher de Saint-J Jlarc, pour épier l’apparition de la flotte de Naples, dont l’arrivée devait être le signal du crime. « C’était un Anglais, nommé Ilaillot, qui devait conduire cette flotte. Les grands vaisseaux devaient l'ambassadeur de France nous apprend ipie cet aventurier était de Nevcrs.