LIVRE XXXIV. 1iS0 qucs avaient déjà pris la fuite, deux vaisseaux étaient désemparés, on dit même que l’amiral était sur le point de se rendre, lorsque le feu se manifesta à bord d’un des vaisseaux vénitiens ; cet accident mit le désordre dans leur ligne. Les ennemis en profitèrent, revinrent à la charge avec plus de fureur; mais ce fut pour perdre deux de leurs vaisseaux, et les deux Hottes se séparèrent extrêmement maltraitées. Cependant ce combat, qui donna lieu à une information contre les capitaines, accusés de 11’avoir pas agi avec assez d’ensemble, rendit les Vénitiens maîtres de la mer pour toute cette campagne, et même pour celle de 1G96. En 1697, il y eut encore, près de l’île d’Andros, une bataille meurtrière, qui se termina par l’incendie d'un vaisseau vénitien, et la fuite de l’armée turque. L’année suivante, un autre combat naval, livré par le généralissime Jacques Cornaro, attesta encore la supériorité de la marine vénitienne; mais ces batailles ne décidaient rien. Le prince Eugène, qui, dans le même temps, venait de battre les Turcs en Hongrie, ne pouvait pas non plus se flatter de la gloire d’avoir mis fin à la guerre, quoiqu’il leur eût tué plus de vingt mille hommes dans la journée de Zenta. VIII. La paix tenait à des événements d’un autre ordre. L’ambition de Louis XIV avait excité l’inquiétude de toutes les puissances de l’Europe, et c’élait dans Venise, qu’à la faveur du mystère et sous le prétexte des plaisirs, le duc de Savoie,l'électeur de Bavière, et des négociateurs secrets d’Autriche, d’Espagne, de Suède et de Hollande, s’étaient réunis pour arrêter le plan d’une ligue, qui fut signée à Augsbourg, et dont l’objet était d’opposer une barrière à la puissance toujours croissante d’un prince qu’on accusait d’aspirer à la monarchie universelle. Louis XIV avait glorieusement résisté à tant d’ennemis, mais d’autres vues le déterminèrent à abandonner la plus grande partie de ses conquêtes, et à signer le traité de Riswick, en 1698. La prochaine vacance du trône d’Espagne devenait l’objet de l’ambition et de l’inquiétude générale. Le roi Charles II faisait et refesait son testament, et on se partageait d’avance ses dépouilles, par des traités sur lesquels personne ne comptait. L’empereur, ne pouvant rester spectateur d’un grand événement, dans lequel sa maison était intéressée, désira terminer la guerre fatigante et infructueuse qu’il soutenait depuis quinze ans contre les Turcs. L’angleterre, la Hollande, qui souhaitaient son intervention dans les affaires de l'Europe occidentale, dans la vue d’opposer ce prince à Louis XIV, offrirent leur médiation à la Porte et aux puissances chrétiennes liguées contre elle. Elle fut acceptée, et un congrès s’ouvrit à Carlowilz, en Hongrie, où la république envoya, pour son plénipotentiaire, le chevalier Charles Ruzzini. Les alliés étaient convenus que l’on partirait de ce principe, que chacun conserverait ce dont il était en possession; mais les Turcs n’avaient point admis la nécessité de tout céder, et l’empereur, à qui la Porte abandonnait la Transylvanie, annonçait la résolution de faire sa paix séparée , si les Vénitiens ne voulaient pas se relâcher de leurs prétentions. Le sénat, qui sentait que la république n’avait rien tant à redouter que d’avoir à soutenir seule une guerre contre l’empire ottoman, le sénat, dis-je, se résigna à subir la condition des États du second ordre, engagés dans les intérêts des grandes puissances. Il accepta la paix qu’on lui dictait, et sacrifia une partie de ses conquêtes. Ce qui lui en restait était déjà beaucoup pour sa gloire, et trop pour scs forces, comme la suite le fit bientôt voir. Par ce traité de Carlowilz, la Porte cédait la Transylvanie à l'Autriche, la place de Kaminieclc, les provinces de Podolie et d’Ukraine à la Pologne, le port d’Asoph au czar. Voici les articles qui intéressaient plus particulièrement la république de Venise : elle conserva de ses conquêtes toute la Morée , jusqu’à l’isthme de Corinthe, l’ile d’Égine d’un côté, celle de Sainte-Maure de l’autre ; Castel-Nuovo à l’entrée du canal de Caltaro et Risano : enfin, dans la Dalmatie, les forteresses de Sing, Knin et Ciclut. Elle restituait les villes conquises au nord du golfe d’Athènes et du golfe de Lépante; mais les fortifications de Lépante, de Romélie et de Prévésa devaient être démolies. Enfin elle consentait à laisser aux Turcs la place importante des Grabuscs, quoiqu’ils n’y fussent entrés que par trahison. On ne pouvait que se féliciter de cette paix, d’où date l’abaissement delà puissance ottomane; mais on avait le droit de se plaindre des procédés des alliés. La Morée offrait à la république des ports excellents, et une contiguïté de possessions, qui s’étendait depuis l’extrémité du golfe Adriatique jusqu’au milieu de l’Archipel. Malheureusement, cette acquisition était susceptible d’être attaquée par mer et par terre, et il était impossible de croire que les Turcs y eussent renoncé sincèrement. Les Vénitiens revinrent, pour la troisième ou quatrième fois, au projet de fermer l’isthme de Corinthe par une ligne de forts, qui furent exécutés sous la direction du général Stenau. Faible barrière contre une puissance comme la puissance ottomane ! Ce qu’ils firent de mieux, ce fut d'envoyer dans cette nouvelle province un inquisiteur chargé de redresser quelques torts faits aux habitants, et ! d’y établir une administration qui les empêchât