LIVRE XXIX. 37 la république fit cesser, non-seulement pour elle, niais pour les autres nations, la crainte et par conséquent le danger des interdits. 11. Le nouveau pape, qui avait pris le nom de Paul V, convaincu ou non de la réalité de tous les droits de son siège, les soutint comme si sa conscience lui en eût fait un devoir. Dès son avènement au pontificat, il annonça le dessein de relever la puissance de I’Église aux dépens de celle des princes séculiers, dont il était nécessaire, selon lui, de mortifier la présomption. N’étant encore que cardinal, il avait manifesté ses sentiments devant l’ambassadeur de Venise, qui était alors Léonard Donato, en disant que, s’il était pape et que la république lui donnât quelques sujets de mécontentement, il ne perdrait pas son temps en avertissements et en négociations, mais qu’il lancerait sur-le-champ un interdit: et moi, lui répliqua l’ambassadeur, si jetais doge, je mépriserais vos anathèmes. Tous deux eurent bientôt occasion de se tenir parole. Camille Borghèse, dès son avènement au pontificat, monlra un esprit superstitieux. Un devin s’était avisé de prédire que le nouveau pontife ne vivrait pas longtemps : c’en fut assez pour le troubler. Il changea ses cuisiniers, ses maitres-d’hôtel, ne parut plus en public qu’avec précaution, et lorsqu’un inconnu lui présentait un mémoire, il n’osait prendre le placet, et le laissait tomber, comme si ce papier eut pu être empoisonné. Ces terreurs durèrent quatre ou cinq mois, jusqu’à ce que sa famille, employant contre ce mal un remèile de même nature, lit venir des astrologues qui promirent au pape une longue vie, et lui rendirent la liberté d’esprit qu’il avait perdue. H s’essaya d’abord sur les faibles. La république •Je Lucques avait rendu un décret contre quelques-uns de ses citoyens, qui s’étaient retirés chez les protestants, dont ils venaient d’embrasser les erreurs. Elle ne croyait pas avoir encouru les reproches de la cour de Home, pour avoir défendu à ses sujets toute communication avec ces hérétiques; •nais le pape trouva que c’était usurper la puissance spirituelle, et ordonna que ce décret fût rayé des registres. Les Génois avaient voulu examiner les comptes des administrateurs de quelques confréries laïques, accusés de malversation. Le pape prétendit que cette surveillance était contraire aux droits et aux libertés de l’Église. Il fallut que la république de (iênes révoquât son décret, pour éviter l’excommunication. Les jésuites avaient formé dans celte même ville une confrérie de laïques, où l’on exigeait de ceux qui y étaient admis de jurer que, dans l’élection des magistrats, ils ne donneraient leur voix qu’à des personnes de l’association. Le gouvernement jugea qu’il élait contre les intérêts de la république de laisser les jésuites se rendre maîtres de toutes les élections : en conséquence la confrérie fut supprimée. Mais le pape traita cet acte de monstrueux, d’attentatoire aux droits de l’Église, et le gouvernement fut encore oblige de plier. Les puissances plus considérables n’étaient pas à l’abri des entreprises de l’aul V. Il exigeait de la France qu’elle reçût sans examen et sans restriction toutes les décisions du concile de Trente. En Espagne, il défendait les immunités des jésuites. A Na-ples, il soutenait un jugement de l’inquisition, qui venait de condamner un seigneur de ce royaume. III. La république de Venise ne tarda pas à lui fournir des occasions de signaler, avec le môme éclat, le zèle dont il était animé pour le maintien de la juridiction ecclésiastique. Le nonce du pape auprès de la seigneurie devait parler comme pensait son maître; aussi se plaignait-il de ne pas trouver, chez les Vénitiens, cette piété qu’on lui avait vanlé : il ne pouvait y avoir do pieté qu’avec une entière soumission à l’autorité spirituelle ; et il osa dire au doge, devant le gouvernement assemblé, qu’il n’y avait point de vertus, ni d’œuvres méritoires, sans cette soumission. Les Turcs étaient alors en guerre avec les Hongrois : le pape demanda hautement à la république un secours d’argent, pour aider les Hongrois à soutenir celle guerre. Le sénat, qui n’avait garde de s’exposer à une rupture avec l’empire ottoman, refusa ce subside ; ce fut un premier grief. Quelque temps après, le pape se plaignit d’un règlement qui obligeait à passer par Venise tous les bâtiments qui transportaient des marchandises étrangères d’un port de l’Adriatique dans un autre. Celte disposition élait en effet gênante pour le commerce des sujets de l’Église; mais il ne fallait pas en conclure qu’elle intéressait la religion. Le gouvernement fut inébranlable, et le ressentiment du pape s’en accrut. Une loi de 1603, fondée sur le très-grand nombre d’églises et de monastères déjà existants, avait défendu d’en bâtir de nouveaux, sans l’autorisation du gouvernement. Une autre, encore plus importante, venait d’être rendue, en 1G03. Elle prohibait toute donation, toute aliénation de biens en faveur des établissements ecclésiastiques. C’étaient là deux griefs que Paul V ne pouvait ni pardonner, ni dissimuler. Telle était la situation des choses et des esprits, lorsque le gouvernement fit mettre en prison un chanoine de Vicence, nommé Sarraceno. Il était accusé d’avoir outragé la femme d’un patricien, et rompu les scellés mis sur la chait-