LIVRE XXXVII. 239 et à envoyer une horde de scélérats gagés, pour soulever d’autres provinces. « Nous exhortons les sujets fidèles à se lever en niasse, à prendre les armes, à dissiper, à exterminer ces brigands, sans faire quartier à qui que ce soit, quand même il serait prisonnier. Ils peuvent être certains que le gouvernement leur donnera les secours les plus prompts en argent, en armes et en troupes réglées. Les Esclavons à la solde de la république sont déjà en marche pour se joindre à eux. « Le succès de cette entreprise ne peut être douteux. L’armée autrichienne a enveloppé et complètement battu les Français dans le Tyrol et dans le Frioul. Elle poursuit les restes de ces hordes impies et sanguinaires, qui, sous prétexte de faire la guerre aux ennemis, dévastent le pays et pillent les sujets de la république, dont la conduite a toujours attesté l’exacte neutralité. Les Français ne peuvent donc secourir les rebelles. Attendons et saisissons le moment favorable pour leur oter jusqu’à la possibilité de la retraite. « Les Bergamasques restés fidèles, et les autres sujets de la. république, sont invités à chasser les Français des villes et des forts qu’ils occupent contre le droit des gens, et à s’adresser à nos commissaires Pierre-Jérôme Zanchi et Pierre Locatelli, pour recevoir les instructions opportunes. La paie est de quatre livres par jour pendant tout le temps qu’ils seront en activité. >> Je n’ai pu me dispenser de rapporter cette pièce, parce qu’elle devint un long sujet de discussions et qu’elle fut désavouée par le gouvernement vénitien, mais seulement trois semaines après. Il serait fort difficile d’avoir des preuves irréfragables de son authenticité. Il est remarquable qu’elle n’accuse point les Français d’avoir pris part aux insurrections de Breseia et de Bergame ; qu’en annonçant leur défaite dans le Tyrol, ce qui était très-vrai, elle y ajoute leurs désastres dans le Frioul, tandis qu’ils y remportaient des victoires ; qu’enfin elle proclame des projets hostiles contre cette'armée, avec un éclat qui n’était point dans les habitudes circonspectes du gouvernement vénitien. H est possible qu’un provéditeur, expulsé de son gouvernement, ait oublié cette circonspection. Il est possible aussi que les Français aient supposé cette pièce. Cependant quel aurait été leur objet? Elle n’était pas nécessaire pour exciter leurs troupes, et elle devait leur susciter des ennemis, dans un moment où ils étaient engagés avec le prince Charles, vainqueurs à la vérité, mais non encore maîtres des défilés qui conduisent en Autriche. Inquiets de l'échec que leur aile gauche venait d’es- suyer dans le Tyrol, ils devaient être certainement fort éloignés de vouloir mettre aux prises avec une population insurgée les détachements épars qu’ils avaient laissés sur le territoire vénitien. J’ignore ce que le temps révélera à l’histoire ; mais, jusqu’à présent, la raison se prête difficilement à admettre que les Français aient supposé une proclamation si contraire à leurs intérêts. Quant au gouvernement vénitien, les difficultés de sa position, la discordance des passions qui agitaient la république, devaient jeter de l’irrésolution dans scs conseils, et ne lui laissaient guère que le choix des fautes. Pendant qu’on cherchait à arrêter les progrès de l’esprit révolutionnaire, pendant que les proclamations du gouvernement, les caresses des magistrats, les discours des prêtres, les adresses des villes, l’exemple surtout des habitants de Vérone, excitaient la population des campagnes à repousser les insurgés de Iiergame et de Breseia, ceux-ci parcouraient le pays situé sur la rive droite du Mincio, abattaient le drapeau de Saint-Marc et plantaient des arbres de la liberté. Ces insurgés armés étaient encore en très-petit nombre. Au contraire, sur la rive gauche du Mincio, les troupes réglées, les gardes civiques fournies par les villes et les corps de paysans, formaient une véritable armée, qui aurait pu certainement reconquérir Bergame et Breseia. Le gouvernement n’en fit pas assez, car il n’osa marcher contre les rebelles, de crainte de trouver les Français dans leurs rangs, et il en fit trop, en se plaignant de la connivence de ces mêmes Français, puisque c’était confondre la cause des uns avec celle des autres, donner aux insurgés une importance qu’isolés ils n’auraient pu acquérir, leur indiquer un point de ralliement et de puissants auxiliaires. Alarmé des rapports qui lui arrivaient des provinces situées sur la rive droite du Mincio, le gouvernement députa deux de scs membres auprès du général en chef, écrivit à Paris, et se rapprocha du ministre de la république française. XXIX. Il demandait à ce dernier si Venise pouvait compter sur l’assistance, sur la protection de la France. Ce ministre ne pouvait pas avoir reçu d’avance des instructions, pour répondre à une interrogation, que les procédés antérieurs du gouvernement vénitien devaient si peu faire prévoir. Il dit « qu’après avoir éludé les conseils et si souvent refusé l’alliance de la république française, il était bien tard pour réclamer son appui ; qu’il ne présumait pas que son gouvernement voulût intervenir dans un différent élevé entre le peuple et la classe nobiliaire ; mais que, si les gens sages, qui le faisaient consulter, pouvaient, par de prudentes ré-